Le jour de Saint-Basile 1632, raconte la Mère de Chaugy dans son Mémoire sur sainte Chantal, notre bienheureuse Mère soutint un assaut très grand de l'amour divin qui l'empêchait de pouvoir parler à la récréation ; elle demeurait les yeux fermés avec un visage tout enflammé ; elle tâchait de se divertir à filer sa quenouille, et demeurait prise à la moitié de son aiguillée. Quand elle vit qu'elle ne pouvait faire autrement, elle fit chanter et s'essaya de chanter elle-même ce cantique qu'elle s'était fait faire autrefois par notre très honorée Mère de Bréchard :
Pourquoi donner à mon âme
Quelque travail ou souci,
Puisque l'amour qui l'enflamme
Ne le permet pas ainsi ?
Il me meut et me gouverne
Tout au gré de son désir,
Et je n'ai ni but, ni terme
Que son céleste plaisir.
Mon cœur n'a de complaisance
Qu'aux entretiens amoureux
De cette divine essence,
Seul objet des Bienheureux.
Ce chant la divertit un peu et pour cacher la grâce, elle s'essaya de nous parler, mais avec des paroles de feu...
« Mes chères filles (dit-elle), saint Basile, ni la plupart de nos saints Pères et piliers de l'Église n'ont pas été martyrisés : pourquoi vous semble-t-il que cela soit arrivé ? » Après que chacune eut répondu : « et moi, dit cette bienheureuse Mère, je crois que c'est parce qu'il y a un martyre qui s'appelle le martyre d'amour, dans lequel Dieu soutenant la vie de ses serviteurs et servantes, pour les faire travailler à sa gloire, il les rend martyrs et confesseurs tout ensemble... Le divin amour fait passer son glaive dans les plus secrètes et intimes parties de nos âmes et nous sépare nous-mêmes de nous-mêmes. Je sais une âme, ajouta-t-elle, laquelle l'amour a séparée des choses qui lui ont été plus sensibles que si les tyrans eussent séparé son corps de son âme par le tranchant de leurs épées ». Nous connûmes bien qu'elle parlait d'elle-même.
(On remarquera que cela se passe le jour de la fête de saint Basile, qui passait pourtant presque inaperçue, au plus bas degré des fêtes de saints : exemple de communion entre mystiques d’Orient et d’Occident, par delà les siècles. On remarque de même comment monsieur Olier cite saint Grégoire de Nysse, par exemple. Ce que l’on n’attend pourtant guère à cette époque.)