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Saint Armel

armel.jpgA cette époque de la vie d'Armel se rattache le trait fameux dont le souvenir est resté inséparable de son nom. Quand il vint se fixer dans la contrée, un dragon d'une grosseur monstrueuse, et qui avait établi son repaire sur les bords de la Sèche, exerçait d'affreux ravages dans le pays. Son haleine brûlante et empoisonnée suffisait pour terrasser ceux qui passaient à sa portée. Ces malheureux périssaient dans d'atroces souffrances. La terreur régnait partout, personne n'osait se présenter pour combattre l'horrible bête. On eut recours à Armel. Les habitants, consternés, accourent en foule auprès de lui : "Père, lui disent-ils, nous savons que le fléau qui nous afflige est une juste punition de nos péchés; mais vos prières, ô homme de Dieu, sont toujours exaucées, vous avez déjà opéré mille prodiges, ayez pitié de nous. Mes frères, répond le saint, revenez sincèrement à Dieu, faites pénitence, et sans aucun doute vous serez délivrés."

232armel.jpgQuelques jours se passent; de nouvelles instances sont faites auprès d'Armel. Le bienheureux, à la fin, se laisse attendrir ; Il promet de mettre un terme à cette calamité. Le lendemain donc, après avoir célébré le saint sacrifice de la messe, laissant tout le peuple prosterné et en prière, il quitte l'autel, encore revêtu de ses ornements sacerdotaux, et marche hardiment à la rencontre de l'ennemi. Parvenu au lieu de sa retraite, il lui ordonne impérieusement de sortir. Le dragon, à la vue de l'homme de Dieu, reconnaît son maître et devient docile comme un agneau; il sort de sa caverne, baissant la tête à la façon d'un coupable prêt à subir son châtiment. Armel lui jette son étole autour du cou, et, le tenant ainsi enchaîné, il le traîne jusqu'au sommet d'une colline voisine. Là, il le précipite dans la rivière, et le monstre périt au milieu des eaux.

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En mémoire de ce prodige, le sentier par lequel le saint avait traîné le dragon demeura sec et aride, et la colline où le fait se passa porta le nom de Saint-Armel. De là aussi vient l'usage traditionnel de représenter le bienheureux revêtu d'une étole par-dessus sa robe de moine, et tenant le dragon enchaîné sous ses pieds. Ce miracle est rapporté par plusieurs historiens et consigné dans l'office de presque tous les anciens diocèses de Bretagne. Néanmoins quelques auteurs, entre autres dom Lobineau, en ont contesté la réalité. Les critiques ont vu dans le dragon l'image du serpent infernal, qui n'était point entièrement chassé de ces contrées, livrées encore en grande partie aux superstitions druidiques. Selon eux, Armel vainqueur du serpent n'est autre qu'Armel vainqueur de l'idolâtrie; et, en le représentant avec le dragon enchaîné, on a voulu exprimer les triomphes qu'il a remportés sur le démon par la parole évangélique.

Sans doute, la fable s'est mêlée quelquefois à la réalité dans les récits de la vie des saints ; l'imagination, comme le fait observer très justement M. de Monlalembert dans les Moines d'Occident, s'est alliée à la tradition authentique, pour l'altérer ou la remplacer. Aussi l'Église n'oblige-t-elle de croire à aucun des prodiges, même les mieux avérés, que l'on trouve racontés dans les légendes. Mais quand ces faits sont rapportés par des auteurs graves et dignes de foi, elle les recommande à l'admiration des chrétiens, comme une preuve de la fidélité des promesses de Celui qui a dit de lui-même "qu'il était admirable dans ses saints" ; et ailleurs : "Celui qui croit en moi fera aussi des prodiges plus grands que les miens."

Quant à la légende de saint Armel en particulier, ceux qui n'y veulent voir qu'un symbole s'appuient sur cette raison qu'il n'existe point en Bretagne de dragons ni de serpents monstrueux. Peut-être ; mais Dieu, pour exercer ses vengeances ou faire éclater la sainteté de ses serviteurs, n'a-t-il pas suscité parfois de ces êtres extraordinaires dans des pays où ils étaient inconnus ?

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Ne nous étonnons pas non plus de la puissance exercée par les saints sur la nature animée. Avant la chute, tout dans la création n'était qu'amour et harmonie; les êtres inférieurs obéissaient aux supérieurs ; aucune voix dans l'univers ne rompait l'ordre de ce poème grandiose, aucune note discordante no troublait ce sublime concert. Voyez l'admirable spectacle décrit au commencement du livre de la Genèse : le premier homme fait comparaître les animaux devant lui, Il leur impose des noms ; Adam et Eve vivent tranquillement dans le paradis, au milieu de toutes les créatures qui leur sont soumises.

Le même fait se représente pour les saints ; tous les anciens auteurs qui nous rapportent les légendes où ces prodiges sont relatés, sont unanimes pour en convenir. Par les rigueurs de la pénitence et la pureté de leur vie, les saints ont reconquis l'innocence primitive, et Dieu leur a rendu l'empire surnaturel exercé par nos premiers parents sur les animaux de la création. "La rage des bêtes féroces, dit un ancien auteur, obéit à celui qui mène la vie des anges, comme elle obéissait à nos premiers parents avant leur chute." — "Faut-il s'étonner, s'écrie le vénérable Bède, si celui qui obéit loyalement et fidèlement au Créateur de l'univers, voit à son tour les créatures obéir à ses ordres et à ses vœux ?" — "Aussi voyons-nous, dit encore M. de Montalembert, les élus de Dieu aller sans crainte à la rencontre des bêtes sauvages, leur imposer leurs volontés et les rendre soumis, comme deux mille ans auparavant, dans les solitudes de l'Idumée, le Seigneur lui-même l'avait promis au Juste, réconcilié avec lui."

Vie de saint Armel, par le chanoine Narcisse Cruchet, 1882.

 

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