En juin dernier, l’ICANN, qui gère les extensions des noms de domaine (.com, .fr, etc.) a donné la liste de quelque 1.930 nouvelles extensions qui lui ont été proposées (il n’y en a aujourd’hui que 22 en plus des 280 qui correspondent à un nom de pays). Sur le site de l’ICANN, on voit donc ces propositions, et les commentaires, essentiellement les objections, qui leur sont faites. On constate que l’Arabie saoudite – l’un des pays où la censure d’internet est la plus étroite - s’intéresse vivement à la chose, et, entre le 12 et le 14 août, elle a envoyé pas moins de 166 avis, le plus souvent trois fois le même, à partir d’adresses différentes, mais toujours sous le même nom, « Abdulmjid », pour le compte de la Commission pour la communication et les technologies de l’information du Royaume d’Arabie saoudite.
Sans surprise, « Abdulmjid » (le fils du Tout-Glorieux) demande que ne soient pas autorisées les extensions qui concernent la pornographie ou peuvent être détournées par la pornographie (ainsi « .baby », demandé notamment par les produits pour bébés Johnson & Johnson, ou .virgin demandé par la firme qui porte ce nom), l’alcool, les jeux, l’homosexualité, le tatouage…
Plus étonnant a priori, « Abdulmjid » s’élève aussi contre les extensions .islam, .halal, .ummah… Au motif que ces extensions sont demandées par des entreprises privées, alors qu’elles devraient l’être par une majorité de pays musulmans.
De fil en aiguille, l’Arabie saoudite s’intéresse aux autres religions et se pose en défenseur sourcilleux des autres termes religieux. Ainsi, « Abdulmjid » s’élève contre la demande d’une extension .bible, parce qu’elle émane de l’American Bible Society, qui ne représente pas tous les croyants se référant à la Bible. Et « Abdulmjid » se livre à un savant exposé sur les différentes bibles, qui ne comprennent pas le même nombre de livres selon les confessions chrétiennes… « Il est clair que puisque un certain nombre de religions, et de groupes en leur sein, sont en désaccord sur l’origine et le contenu de la bible, on ne doit pas permettre à un groupe ou à un individu de définir ce que la Bible est ou n’est pas. Permettre à cette extension d’être enregistrée serait offensant pour beaucoup de gens et de sociétés pour motif religieux. »
Et c’est pourquoi « Abdulmjid » s’en prend aussi à… l’Eglise catholique. Car le Saint-Siège a demandé l’extension .catholic (en caractères latins, arabes et chinois), avec l’intention de se la réserver.
Et la commission saoudienne se livre à un libelle d’anthologie, quoique quelque peu hasardeux, voire carrément cafouillant, dans sa formulation :
"Cette application est sensible dans la mesure où le terme « catholique » qui est demandé comme extension représente la multitude des Chrétiens à travers le monde.
"Le terme a été incorporé dans le nom de la plus importante communauté Chrétienne, l’Eglise Catholique (aussi appelée l’Eglise Catholique Romaine). Cependant, de nombreux autres Chrétiens utilisent le terme « catholique » pour désigner de façon plus générale l’Eglise Chrétienne, indépendamment de l’affiliation confessionnelle. D’autres communions Chrétiennes peuvent revendiquer le terme « catholique », comme l’Eglise Orthodoxe d’Orient et l’Eglise orthodoxe orientale.
"Nous ne croyons pas que l’extension .catholic doive être sous le contrôle d’une église qui ne peut pas représenter, et ne représente pas, chaque communion catholique.
"De plus, nous croyons que toute extension, pour quelque nom que ce soit en relation avec la religion ou une communauté spécifique doit être présentée par l’ensemble de cette communauté, pour évaluation, avant que l’extension soit refusée ou accordée. Si cela ne peut pas être accompli, alors de tels noms doivent être complètement interdits comme noms d’extension.
"En ne procédant pas ainsi on donnerait l’utilisation et le contrôle d’un nom religieux important à un groupe, élevant injustement son influence au-dessus des autres, et l’on permettrait à ce groupe de représenter à lui seul un éventail des différentes églises.
"Le demandeur actuel ne peut pas démontrer qu’il possède un monopole du terme « catholique », et il ne peut pas démontrer non plus que cette possession prévue soit acceptée par les Catholiques autour du monde.
"Permettre à cette extension d’être enregistrée peut être offensant pour de nombreuses personnes et sociétés pour motif religieux.
"Par conséquent, nous demandons respectueusement que l’ICANN n’attribue pas cette extension."
Voilà donc l’Arabie saoudite volant au secours des orthodoxes et autres chrétiens qui voudraient se dire « catholiques » et seraient offensés que l’Eglise catholique se dise catholique.
Or sur le site de l’ICANN il n’y a aucune objection de quelque Eglise orthodoxe ou de quelque autre confession chrétienne que ce soit…
Est-ce trop demander que l’Arabie saoudite, qui ne permet aucun culte chrétien sur son territoire, évite de se prendre pour l’arbitre mondial des élégances religieuses et morales ?