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Saint Grégoire de Nazianze

Saint Grégoire de Nazianze et saint Basile, deux des « trois hiérarques » (le troisième étant saint Jean Chrysostome), ou des « trois lumières de la Cappadoce », étaient des amis très proches depuis leurs études à Athènes. Ils figurent parmi les plus grands théologiens et les plus grands mystiques de l’Orient.  Ce qui ne les empêche pas d’avoir le sens de l’humour. Voici une lettre où Grégoire répond à Basile qui vantait Césarée et critiquait la région de Nazianze :

Je ne puis souffrir que tu critiques la Tibérine, sa boue et ses hivers, ô toi que la boue ne salit jamais, toi qui marches sur la pointe des pieds et qui te promènes sur des planchers, homme ailé, aérien, emporté par la flèche d’Abaris, — puisque tu veux fuir la Cappadoce, tout Cappadocien que tu es.

Vous faisons-nous quelque tort parce que vous êtes pâles, parce que vous respirez à peine et que le soleil vous est mesuré, tandis que nous sommes gras, rassasiés et au large ?

Mais (dites-vous), vous jouissez aussi de ces avantages, et, en plus, vous avez des plaisirs, vous êtes riches, vous flânez sur les places publiques. — C’est ce dont je ne vous félicite pas. Cesse donc de critiquer notre boue, car ce n’est pas toi qui as créé ta ville, pas plus que nous l’hiver ; sinon, nous te reprocherons, non pas la boue, mais les bouges et tout ce que les villes offrent de mauvais.

Quelque temps plus tard, Basile s’est installé dans un monastère. Grégoire va le visiter, puis il lui écrit :

Tu peux railler et critiquer notre pays, soit pour plaisanter, soit sérieusement ; cela n’est rien. Tu peux sourire, te rassasier de science et jouir de notre amitié : tout ce qui vient de toi nous fait plaisir, quoi que ce soit et de quelque manière que ce soit. Mais si tu nous railles c’est, je le crois, moins pour nous railler que pour m’attirer vers toi et, si je te comprends bien, tu veux agir comme ceux qui font un barrage sur une rivière pour en détourner le cours. C’est ainsi que j’interprète ta conduite.

Quant à moi, j’admire ton pays du Pont, avec ses ténèbres, ce séjour digne d’un exil, ces rochers suspendus au-dessus de vos têtes, ces bêtes sauvages qui viennent vous éprouver, ce désert qui s’étend sous les rochers, et même ce trou à rats — auquel vous donnez les beaux noms de lieu de méditation, de monastère et d’école —, ces forêts d’arbres sauvages, cette couronne de montagnes escarpées qui, loin de vous couronner, vous emprisonne, cet air qui vous est mesuré, ce soleil que l’on désire en vain et que l’on aperçoit comme l’orifice d’une cheminée, ô Cimmeriens du Pont qui n’êtes pas seulement condamnés à une nuit de six mois, comme on le dit de certains peuples, mais qui ne passez pas un instant de votre vie sans obscurité, car toute votre existence n’est qu’une longue nuit ininterrompue, c’est vraiment l’ombre de la mort, pour parler comme l’Écriture.

J’adresserai aussi mes louanges à votre voie étroite et resserrée ; où mène-t-elle ? au Royaume ou à l’Hadès ? Je ne sais, mais à cause de ton nom (Basilios), admettons qu’elle mène au Royaume (Basilia). J’admire encore au milieu de tout cela votre… comment dirai-je ? Mentirai-je, pour dire que c’est un Éden, avec une source qui se divise en quatre parties pour arroser la terre ? Dirai-je au contraire que c’est le désert sec et aride, que seul quelque Moïse pourrait fertiliser en frappant le rocher de sa baguette ? Partout, en effet, où il n’y a pas de rochers, il y a des ravins ; à défaut de ravins, ce sont des ronces ; et tout ce qui domine les ronces est taillé en précipice. Le sentier qui passe au-dessus, bordé d’abîmes et incliné des deux côtés, oblige ceux qui marchent à se recueillir et à faire des exercices de sécurité.

En bas gronde le fleuve, qui est pour vous le calme Strymon d’Amphipolis ; mais les poissons n’y nagent pas plus que les pierres ; il ne se répand pour former un lac, mais il se jette dans des gouffres. Quel amateur de grands mots es-tu et quel inventeur de noms ! Ce fleuve est énorme, effrayant et son fracas couvre la psalmodie que l’on chante au-dessus. Les Cataractes, les Catadoupes ne sont rien à côté de lui, tant il vous accable nuit et jour de son vacarme. Il est si impétueux qu’on ne peut le franchir, si bourbeux qu’on ne peut en boire son eau ; il n’a que ceci de bon, c’est qu’il n’emporte pas votre demeure lorsque les torrents et les orages le rendent furieux.

Voilà nos impressions sur ces îles où vivent les Bienheureux, ou plutôt ces nouveaux bienheureux que vous êtes !

Ne me vante donc plus ces courbes en forme de croissant, qui étranglent plutôt qu’elles ne défendent la partie accessible de la montagne ; ni ces masses rocheuses qui menacent vos têtes et qui vous font vivre d’une vie de Tantale ; ni ces brises qui passent, ni ces émanations terrestres qui vous raniment quand vous défaillez ; ni ces oiseaux qui chantent, mais qui chantent de faim, et qui volent, mais dans le désert. Personne, dis-tu, ne vient dans ce pays, si ce n’est pour la chasse ; ajoute : et pour vous visiter, morts que vous êtes !

Tout cela est peut-être un peu long pour une lettre, mais c’est pourtant plus court qu’une comédie. Enfin, si tu acceptes de bon cœur la plaisanterie, tu feras bien ; sinon, nous ajouterons bien d’autres choses.

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