Vincent aima les pauvres d’un amour de prédilection, parce qu’il aimait Dieu et que la foi lui révélait en eux le Seigneur. « O Dieu, disait-il, qu’il fait beau voir les pauvres, si nous les considérons en Dieu et dans l’estime que Jésus-Christ en a faite ! Bien souvent ils n’ont pas presque la figure ni l’esprit de personnes raisonnables, tant ils sont grossiers et terrestres. Mais tournez la médaille, et vous verrez, par les lumières de la foi, que le Fils de Dieu, qui a voulu être pauvre, nous est représenté par ces pauvres ; qu’il n’avait presque pas la figure d’un homme en sa passion, et qu’il passait pour fou dans l’esprit des Gentils, et pour pierre de scandale dans celui des Juifs ; et avec tout cela il se qualifie l’évangéliste des pauvres, evangelizare pauperibus misit me ».
Ce titre d’évangéliste des pauvres est l’unique que Vincent ambitionna pour lui-même, le point de départ, l’explication de tout ce qu’il accomplit dans l’Église. Assurer le ciel aux malheureux, travailler au salut des abandonnés de ce monde, en commençant par les pauvres gens des champs si délaissés : tout le reste pour lui, déclarait-il, « n’était qu’accessoire ». Et il ajoutait, parlant à ses fils de Saint-Lazare : « Nous n’eussions jamais travaillé aux ordinands ni aux séminaires des ecclésiastiques, si nous n’eussions jugé qu’il était nécessaire, pour maintenir les peuples en bon état, et conserver les fruits des missions, de faire en sorte qu’il y eût de bons ecclésiastiques parmi eux ». C’est afin de lui donner l’occasion d’affermir son œuvre à tous les degrés, que Dieu conduisit l’apôtre des humbles au conseil royal de conscience, où Anne d’Autriche remettait en ses mains l’extirpation des abus du haut clergé et le choix des chefs des Églises de France. Pour mettre un terme aux maux causés par le délaissement si funeste des peuples, il fallait à la tête du troupeau des pasteurs qui entendissent reprendre pour eux la parole du chef divin : « Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent ».
Dom Guéranger