Considérez maintenant ce que dit votre Maître : "qui êtes aux cieux". Pensez-vous qu’il vous importe peu de savoir ce que c’est que le ciel, et où vous devez chercher votre Père infiniment saint ? Eh bien moi je vous dis que pour des esprits distraits, non seulement il importe beaucoup de croire cette vérité, mais encore d’y réfléchir beaucoup ; car c’est là une des choses les plus propres à fixer les pensées, et à aider l’âme à se recueillir.
Vous aurez entendu dire que Dieu est partout, et rien n’est plus vrai. Or il est évident que là où se trouve le Roi, on dit aussi que là est la cour ; par conséquent, là où est Dieu, là aussi est le ciel. Vous pouvez donc croire que là où est Sa Majesté, là aussi est toute la gloire. Songez alors à ce que dit saint Augustin (dans le livre de ses méditations, je crois) ; il cherchait le Seigneur partout, et il finit par le trouver au-dedans de lui-même. Pensez-vous qu’il importe peu à une âme qui a tendance à se distraire, de comprendre cette vérité et de savoir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père Éternel, et se délecter avec lui ? qu’elle n’a pas besoin non plus de prier en criant très fort ? Si bas qu’elle parle, il l’entendra ; elle n’a pas besoin d’ailes pour aller le chercher, elle n’a qu’à se mettre dans la solitude, regarder au- dedans d’elle-même, et ne pas s’étonner d’y trouver un si bon hôte ; qu’en toute humilité elle lui parle comme à un père, qu’elle lui adresse ses demandes comme à un père, qu’elle se réconforte auprès de lui comme auprès d’un père, mais qu’elle comprenne qu’elle n’est pas digne qu’il soit son père.
Laissez de côté ces pusillanimités que montrent certaines personnes croyant ainsi faire preuve d’humilité. Non ! L’humilité ne consiste pas à refuser une faveur que vous fait le roi, mais à l’accepter, et à vous en réjouir tout en comprenant à quel point vous en êtes indignes. Etrange humilité ! L’Empereur du ciel et de la terre viendrait dans ma maison pour m’accorder une faveur et se réjouir avec moi et, par humilité, je ne voudrais ni lui répondre ni rester avec lui ? et je le laisserais tout seul, alors qu’il me prie de lui présenter mes requêtes ? je croirais me montrer humble en restant dans ma pauvreté ! qui plus est, voyant que je ne parviens pas à sortir de ma réserve, je l’obligerais à repartir ! Ne faites aucun cas, mes filles, de ces sortes d’humilités ; traitez avec lui comme avec un père, un frère, un maître choisissez tantôt une manière, tantôt une autre - ; lui-même vous enseignera ce que vous devez faire pour le contenter. Cessez d’être stupides ; exigez qu’il tienne sa parole ; n’est-il pas votre Époux ? Qu’il vous traite donc en épouses. Rappelez-vous qu’il est très important pour vous d’avoir compris cette vérité : le Seigneur est au-dedans de nous, au plus profond de nous-mêmes, restons avec lui.
Le chemin de perfection (chapitre 28 ou 46 selon les numérotations)