Lors de la première Congrégation générale de la deuxième Assemblée du synode pour l'Afrique, le 5 octobre, Benoît XVI a proposé aux pères du synode une « réflexion », qui est un admirable commentaire de l'hymne de tierce, à lire intégralement.
Chers frères et soeurs,
Nous avons commencé à présent notre rencontre synodale en invoquant le Saint-Esprit et en sachant bien que nous ne pouvons pas réaliser, en ce moment, ce qui est à faire pour l'Église et pour le monde: c'est seulement dans la force de l'Esprit Saint que nous pouvons trouver ce qui est droit et le mettre ensuite en pratique. Et tous les jours nous commencerons notre travail en invoquant le Saint-Esprit avec la prière de l'heure de tierce "Nunc sancte nobis Spiritus". C'est pourquoi, je voudrais à présent méditer un peu avec vous cet hymne qui ouvre le travail de chaque jour, aussi bien maintenant durant le Synode, mais également après, dans notre vie quotidienne.
" Nunc sancte nobis Spiritus". Nous prions pour que la Pentecôte ne soit pas seulement un événement du passé, le premier début de l'Église, mais qu'elle soit aujourd'hui, voire maintenant: "nunc sancte nobis Spiritus". Prions pour que le Seigneur réalise maintenant l'effusion de son Esprit et recrée de nouveau son Église et le monde. Nous nous rappelons que les apôtres après l'Ascension n'ont pas commencé - comme peut-être cela aurait été normal - à organiser, à créer l'Église future. Ils ont attendu l'action de Dieu, ils ont attendu l'Esprit Saint. Ils ont compris que l'Église ne peut pas se faire, qu'elle n'est pas le produit de notre organisation: l'Église doit naître de l'Esprit Saint. Tout comme le Seigneur lui-même a été conçu et est né de l'Esprit Saint, de même l'Église aussi doit être toujours conçue et naître de l'Esprit Saint. C'est seulement avec cet acte de création de la part de Dieu que nous pouvons entrer dans l'activité de Dieu, dans l'action divine et collaborer avec Lui. En ce sens, tout notre travail au Synode est aussi une collaboration avec l'Esprit Saint, avec la force de Dieu qui nous aide. Et nous devons toujours implorer de nouveau l'accomplissement de cette initiative divine dans laquelle nous pouvons ensuite être des collaborateurs de Dieu et contribuer à faire en sorte que son Église naisse et croisse à nouveau.
La seconde strophe de cet hymne - "Os, lingua, mens, sensus, vigor, / Confessionem personent: / Flammescat igne caritas, / accendat ardor proximos" - est le coeur de cette prière. Nous implorons de Dieu trois dons, les dons essentiels de la Pentecôte, de l'Esprit Saint: confessio, caritas, proximos. Confessio: c'est la langue de feu qui est "raisonnable", qui donne la juste parole et fait penser à l'obstacle de Babel surmonté lors de la fête de la Pentecôte. La confusion née de l'égoïsme et de l'orgueil de l'homme, dont l'effet est celui de ne plus pouvoir se comprendre les uns les autres, doit être dépassée par la force de l'Esprit qui unit sans uniformiser, qui donne l'unité dans la pluralité: chacun peut comprendre l'autre, même dans les diversités des langues. Confessio: la parole, la langue de feu que le Seigneur nous donne, la parole commune dans laquelle nous sommes tous unis, la cité de Dieu, la sainte Église, dans laquelle est présente toute la richesse des différentes cultures. Flammescat igne caritas. Cette confession n'est pas une théorie, mais elle est la vie, elle est l'amour. Le coeur de la sainte Église c'est l'amour, Dieu est amour et se communique en communiquant l'amour. Et enfin le prochain. L'Église n'est jamais un groupe fermé en soi qui vit pour soi comme un des nombreux groupes existant au monde, mais elle se distingue par l'universalité de la charité, de la responsabilité envers le prochain.
Considérons un par un ces trois dons. Confessio: dans le langage de la Bible et de l'Église antique, cette parole a deux significations essentielles qui semblent s'opposer, mais qui constituent en effet une réalité unique. Confessio, c'est avant tout une confession des péchés: reconnaître notre faute et admettre que, devant Dieu, nous sommes insuffisants, nous sommes en faute, nous ne sommes pas dans la droite relation avec Lui. Ceci est le premier point: se connaître soi-même dans la lumière de Dieu. C'est seulement dans cette lumière que nous pouvons nous connaître nous-mêmes, que nous pouvons comprendre aussi combien il y a de mal en nous et voir ainsi ce qui doit être rénové, transformé. C'est seulement dans la lumière de Dieu que nous nous connaissons réciproquement et que nous voyons réellement toute la réalité.
Il me semble que nous devons considérer tout ceci dans nos analyses sur la réconciliation, la justice, la paix. Les analyses empiriques sont importantes, il est important de connaître exactement la réalité de ce monde. Toutefois, ces analyses horizontales, faites avec tant d'exactitude et de compétence, sont insuffisantes. Elles n'indiquent pas les vrais problèmes parce qu'elles ne les situent pas à la lumière de Dieu. Si nous ne voyons pas que le Mystère de Dieu en est à la base, les choses du monde vont mal parce que la relation avec Dieu n'est pas ordonnée. Et, si la première relation, celle qui est à la base, n'est pas correcte, toutes les autres relations avec tout ce qu'il peut y avoir de bien, ne fonctionnent fondamentalement pas. C'est pourquoi, toutes nos analyses du monde sont insuffisantes si nous n'allons pas jusqu'à ce point, si nous ne considérons pas le monde dans la lumière de Dieu, si nous ne découvrons pas que, à la base des injustices, de la corruption, se trouve un coeur qui n'est pas droit, qu'il y a une fermeture envers Dieu, et donc une falsification de la relation essentielle qui est le fondement de toutes les autres.
Confessio: comprendre les réalités du monde dans la lumière de Dieu, le primat de Dieu et enfin tout l'être humain et les réalités humaines qui tendent vers notre relation avec Dieu. Et, si cette dernière n'est pas correcte, si elle n'arrive pas au point voulu par Dieu, si elle n'entre pas dans sa vérité, tout le reste aussi ne peut être corrigé, car de nouveau naissent tous les vices qui détruisent le tissu social, la paix dans le monde.
Confessio: voir la réalité dans la lumière de Dieu, comprendre qu'au fond nos réalités dépendent de notre relation avec notre Créateur et Rédempteur, et aller ainsi à la vérité, à la vérité qui sauve. Saint Augustin, en se référant au chapitre 3 de l'Évangile selon saint Jean, définit l'acte de la confession chrétienne comme "faire la vérité, aller à la lumière". C'est seulement en voyant nos fautes dans la lumière de Dieu, l'insuffisance de notre relation avec Lui, que nous marchons à la lumière de la vérité. Et seule la vérité sauve. Œuvrons finalement dans la vérité: confesser réellement dans cette profondeur de la lumière de Dieu, c'est faire la vérité.
C'est la première signification du mot confessio, confession des péchés, reconnaissance de la culpabilité qui résulte de notre relation manquée avec Dieu. Mais il y a une seconde signification du mot confession, c'est celle de remercier Dieu, glorifier Dieu, témoigner Dieu. Nous pouvons reconnaître la vérité de notre être parce qu'il y a la réponse divine. Dieu ne nous a pas laissés seuls avec nos péchés; même lorsque notre relation avec Sa majesté est entravée, Il ne se retire pas, mais Il vient et nous prend par la main. C'est pourquoi confessio c'est le témoignage de la bonté de Dieu, c'est l'évangélisation. Nous pourrions dire que la seconde dimension du mot confessio est identique à l'évangélisation. Nous le voyons le jour de la Pentecôte, lorsque saint Pierre, dans son discours, d'une part accuse les personnes coupables - vous avez tué le saint et le juste -, mais, en même temps, il dit: ce Saint est ressuscité et vous aime, Il vous prend dans ses bras, vous appelle à lui appartenir dans la repentance et dans le baptême, tout comme dans la communion de son Corps. Dans la lumière de Dieu, confesser devient nécessairement annoncer Dieu, évangéliser et ainsi rénover le monde.
Le mot confessio nous rappelle aussi un autre élément. Dans le chapitre 10 de l'Épitre aux Romains, saint Paul interprète la confession du chapitre 30 du Deutéronome. Dans ce dernier texte, il semble que les Hébreux, en entrant dans la forme définitive de l'alliance, dans la Terre Sainte, aient peur et ne puissent pas réellement répondre à Dieu comme ils le devraient. Le Seigneur leur dit: n'ayez pas peur, Dieu n'est pas loin. Pour arriver à Dieu, il n'est pas nécessaire de traverser un océan inconnu, il n'y a pas besoin de voyages spatiaux dans le ciel, de choses compliquées ou impossibles. Dieu n'est pas loin, il n'est pas de l'autre côté de l'océan, dans ces espaces immenses de l'univers. Dieu est proche. Il est dans ton cœur et sur tes lèvres, avec la parole de la Torah qui entre dans ton coeur et s'annonce sur tes lèvres. Dieu est en toi et avec toi, Il est proche.
Saint Paul remplace, dans son interprétation, le mot Torah par les mots confession et foi. Il dit: réellement Dieu est proche, aucune expédition compliquée n'est nécessaire pour arriver à Lui, ni aucune aventure spirituelle ou matérielle. Dieu est proche avec la foi, Il est dans ton cœur, et avec la confession, Il est sur tes lèvres. Il est en toi et avec toi. Jésus Christ, réellement nous donne, avec sa présence, la parole de la vie. Ainsi Il entre, avec la foi, dans notre cœur. Il habite dans notre cœur et dans la confession, nous apportons la réalité du Seigneur au monde, à notre temps. Ceci me semble être un élément important: le Dieu proche. Les choses de la science, de la technique comportent de grands investissements: les aventures spirituelles et matérielles sont coûteuses et difficiles. Mais Dieu se donne gratuitement. Les choses les plus grandes de la vie - Dieu, amour, vérité - sont gratuites. Dieu se donne dans notre cœur. Je dirais que nous devrions méditer souvent cette gratuité de Dieu: il n'y a pas besoin de grands dons matériels ou même intellectuels pour être proches de Dieu. Dieu se donne gratuitement dans son amour, Il est en moi dans le cœur et sur les lèvres. Ceci est le courage, la joie de notre vie. C'est aussi le courage présent dans ce Synode, parce que Dieu n'est pas loin: Il est avec nous avec la parole de la foi. Je pense aussi que cette dualité est importante: la parole dans le cœur et sur les lèvres. Cette profondeur de la foi personnelle qui réellement me relie intimement avec Dieu, doit ensuite être confessée: foi et confession, intériorité dans la communion avec Dieu et témoignage de la foi qui s'exprime sur mes lèvres et devient ainsi sensible et présente dans le monde. Il s'agit de deux choses importantes qui vont toujours ensemble.
Ensuite l'hymne, dont nous parlons, indique aussi les lieux où se trouve la confession: "os, lingua, mens, sensus, vigor". Toutes nos capacités de penser, parler, sentir, agir, doivent résonner - le latin utilise le verbe "personare" - la parole de Dieu. Notre être, dans toutes ses dimensions, devrait être rempli de cette parole, qui devient ainsi réellement sensible dans le monde, qui, de par notre existence, résonne dans le monde: la parole de l'Esprit Saint.
Et, ensuite, brièvement deux autres dons. La charité: il est important que le christianisme ne soit pas une somme d'idées, une philosophie, une théologie, mais une manière de vivre, le christianisme est charité, il est amour. C'est seulement ainsi que nous devenons chrétiens: si la foi se transforme en charité, si elle est charité. Nous pouvons dire également que le lógos et la charité vont ensemble. Notre Dieu est, d'une part, lógos, raison éternelle. Mais cette raison est aussi amour, il ne s'agit pas froidement d'un fait mathématique qui construit l'univers, ce n'est pas un démiurge; cette raison éternelle est un feu, elle est charité. Cette unité de raison et de charité, de foi et charité devrait se réaliser en nous-mêmes. Et ainsi, transformés dans la charité, devenir, comme disent les Pères grecs, divinisés. Je dirais que dans le développement du monde nous avons ce parcours en montée, depuis les premières réalités créées jusqu'à la créature homme. Mais cette escalade n'est pas encore finie. L'homme devrait être divinisé et ainsi se réaliser. L'unité de la créature et du Créateur: ceci est le vrai développement, arriver avec la grâce de Dieu à cette ouverture. Notre essence est transformée dans la charité. Si nous parlons de ce développement, nous pensons aussi toujours à ce dernier but, où Dieu veut arriver avec nous.
Enfin, le prochain. La charité, ce n'est pas quelque chose d'individuel, mais d'universel et de concret. Aujourd'hui, au cours de la Messe nous avons proclamé la page évangélique du bon samaritain, où nous voyons la double réalité de la charité chrétienne, qui est universelle et concrète. Ce samaritain rencontre un juif, donc quelqu'un qui se trouve au-delà des confins de sa tribu et de sa religion. Mais la charité est universelle, c'est pourquoi cet étranger, dans tous les sens du mot, est pour lui son prochain. L'universalité ouvre les limites qui enferment le monde et créent les diversités et les conflits. En même temps, le fait que l'on doive faire quelque chose pour l'universalité n'est pas philosophie, mais action concrète.
Nous devons aspirer à cette unification d'universalité et de concret, nous devons ouvrir réellement ces confins entre tribus, ethnies, religions à l'universalité de l'amour de Dieu. Et non pas en théorie, mais dans nos lieux de vie, avec tout ce qui est concrètement nécessaire. Nous prions le Seigneur pour qu'Il nous donne tout ceci, dans la force de l'Esprit Saint. À la fin, l'hymne est une glorification du Dieu trine et unique et une prière pour connaître et croire. Ainsi la fin retourne au début. Nous prions afin que nous puissions connaître, connaître devient croire et croire devient aimer, action. Nous prions le Seigneur afin qu'Il nous donne l'Esprit Saint, qu'Il suscite une nouvelle Pentecôte, qu'Il nous aide à être ses serviteurs en ce moment actuel du monde.
Amen.