Que figure le pharisien qui présume de sa fausse justice, sinon le peuple juif ? Et que désigne la femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur en pleurant, sinon les païens convertis? Elle est venue avec son vase d'albâtre, elle a répandu le parfum, elle s'est tenue derrière le Seigneur, à ses pieds, les a arrosés de ses larmes et essuyés de ses cheveux, et ces mêmes pieds qu'elle arrosait et essuyait, elle n'a cessé de les baiser. C'est donc bien nous que cette femme représente, pour autant que nous revenions de tout notre cœur au Seigneur après avoir péché et que nous imitions les pleurs de sa pénitence. Quant au parfum, qu'exprime-t-il, sinon l'odeur d'une bonne réputation? D'où la parole de Paul : «Nous sommes en tout lieu pour Dieu la bonne odeur du Christ.» (2 Co 2, 15). Si donc nous accomplissons de bonnes œuvres, qui imprègnent l'Eglise d'une bonne odeur en en faisant dire du bien, que faisons-nous d'autre que verser du parfum sur le corps du Seigneur?
La femme se tient près des pieds de Jésus. Nous nous dressions contre les pieds du Seigneur quand nous nous opposions à ses voies par les péchés où nous demeurions. Mais si, après ces péchés, nous opérons une vraie conversion, nous nous tenons dès lors en arrière près de ses pieds, puisque nous suivons les traces de celui que nous avions combattu.
La femme arrose de ses larmes les pieds de Jésus : c'est ce que nous accomplissons nous aussi en vérité si un sentiment de compassion nous incline vers tous les membres du Seigneur, quels qu'ils soient, si nous compatissons aux tribulations endurées par ses saints et si nous faisons nôtre leur tristesse.
La femme essuie de ses cheveux les pieds qu'elle a arrosés. Or les cheveux sont pour le corps une surabondance inutile. Et quelle meilleure image trouver d'une excessive possession des choses de la terre que les cheveux, qui surabondent bien au-delà du nécessaire et qu'on coupe sans même qu'on le sente?
Nous essuyons donc de nos cheveux les pieds du Seigneur lorsqu'à ses saints, envers qui la charité nous fait compatir, nous manifestons aussi de la pitié au moyen de notre superflu, en sorte que si notre esprit souffre pour eux de compassion, notre main aussi montre par sa générosité la souffrance que nous éprouvons. Car il arrose de ses larmes les pieds du Rédempteur, mais ne les essuie pas de ses cheveux, celui qui, tout en compatissant à la douleur de ses proches, ne leur manifeste cependant pas sa pitié au moyen de son superflu. Il pleure, mais n'essuie pas [les pieds du Seigneur], celui qui accorde [à son prochain] des paroles de compassion pour sa souffrance, mais sans diminuer en rien l'intensité de cette souffrance en subvenant à ce qui [lui] manque.
La femme baise les pieds qu'elle essuie : c'est ce que nous accomplissons pleinement nous aussi si nous montrons de l'empressement à aimer ceux que nous soutenons de nos largesses, de crainte, sinon, que la nécessité où se trouve le prochain ne nous paraisse pesante, que l'indigence à laquelle nous subvenons ne devienne pour nous un fardeau, et qu'au moment où notre main fournit le nécessaire, notre âme ne commence à s'engourdir à l'écart de l'amour.
(Commentaire de l'évangile du jour, par saint Grégoire le Grand)