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Saint Canut

Saint Canut ou Knut, quatrième du nom, roi de Danemark, surnommé quelquefois d'Odensée, et plus souvent le Saint, était fils naturel de Suénon III, dont le grand-oncle nommé aussi Canut, avait régné en Angleterre.

Suénon, qui n'avait point d'enfants légitimes, prit un soin particulier de l'éducation du jeune Canut, qui alliait toutes les belles qualités de l'âme à celles du corps ; il le mit sous la conduite de maîtres habiles, qui n'eurent jamais qu'à se louer de la docilité de leur élève et des progrès rapides qu'il faisait en tout genre : ils remarquèrent surtout en lui une éminente piété qui donnait un nouveau lustre à ses autres vertus. Quand il fut en âge de commander les armées, il le fit avec cette supériorité qui annonce le héros ; et il n'eût pas été facile de décider s'il avait plus de courage que de capacité dans le métier de la guerre. Ses premiers coups d'essais furent de purger les mers des pirates qui les infestaient, et de soumettre plusieurs peuples voisins qui désolaient le Danemark par leurs incursions.

Après la mort de Suénon II, arrivée en 1074, plusieurs Danois voulurent placer notre Saint sur un trône qui a presque toujours été électif jusqu'en 1660 : les rares vertus de Canut les avaient déterminés à ce choix. Il ne put cependant avoir lieu; et la plus grande partie du peuple, qui redoutait les suites de son caractère guerrier, lui donna l'exclusion. On élut donc pour roi son frère Harald, septième du nom.

A la vérité, ce prince avait une grande douceur; mais elle dégénéra en une mollesse honteuse, ce qui le fit surnommer Hein ou le Fainéant. Pour Canut, il se retira en Suède auprès du roi Halstan, qui le reçut avec les plus vives démonstrations d'estime et d'amitié. Ce prince fit d'inutiles efforts pour l'engager à prendre les armes contre le Danemark. Canut, loin de se montrer l'ennemi de sa patrie, chercha toutes les occasions de lui être utile. Une telle conduite lui gagna les cœurs de tous les Danois, et ils relevèrent sur le trône en 1080, après la mort d'Harald.

Notre Saint parut avoir été choisi par la Providence pour achever la conversion des Danois, auxquels l'Evangile fut annoncé pour la première fois l'an 826, selon quelques auteurs. Les commencements de son règne furent signalés par d'éclatantes victoires remportées sur les Sembes, les Estons et les Curètes, qui ravageaient ses Etats ; il fît porter ensuite la lumière de la foi dans les provinces de Courlande, de Samogitie et de Livonie. Le succès de ses armes ne l'enorgueillit point ; on le vit toujours au milieu de ses triomphes déposer son diadème aux pieds de Jésus crucifié, et présenter au Roi des Rois l'offrande de sa personne avec celle de son royaume. Le flambeau de la guerre étant éteint, il pensa à s'unir avec une épouse digne de lui : son choix tomba sur Eltha, autrement Adélaïde, fille de Robert, comte de Flandre. De ce mariage sortit saint Charles, surnommé le Bon, qui fut, ainsi que son aïeul, comte de Flandre.

Canut ne se contenta pas de connaître les abus, il travailla de toutes ses forces à y remédier. Il porta des lois, sévères à la vérité, mais absolument indispensables pour faire administrer exactement la justice. Les meurtres et les autres crimes furent réprimés par la peine du talion. Supérieur à toute considération humaine, il prit la défense des opprimés contre la tyrannie des grands. Le supplice du fameux pirate Eigill en est une preuve. Cet Eigill, fils d'un homme puissant, et fort chéri du roi Suénon II à cause de ses services, en avait lui-même rendu d'importants à Canut, qui, pour le récompenser, lui avait donné le gouvernement de l'île de Bornholm. Le faste excessif de ce seigneur l'ayant entraîné dans des dépenses énormes, il s'avisa, pour le soutenir, d'exercer le métier de pirate. Le roi n'en fut pas plus tôt informé, qu'il lui envoya un ordre de retrancher une partie de son train, persuadé qu'il remédierait au mal s'il en détruisait la cause. Eigill promit d'obéir ; mais il n'en fit rien. Il partit peu de temps après avec 18 vaisseaux pour aller piller les terres des Vandales ; enfin il mit le comble à ses crimes par l'action barbare qu'il commit sur les côtes de son gouvernement. Voici le fait. Un vaisseau de Norvège, chargé de marchandises précieuses, après avoir passé le détroit du Sund, et paru à la hauteur de l'île de Bornholm, vint échouer sur le rivage lorsque la mer se retirait. Eigill, qui était en embuscade avec son monde, s'avance, met l'équipage aux fers, enlève les marchandises et brûle le vaisseau avec les matelots, de peur d'être découvert.

L'assemblage de plusieurs circonstances donna des soupçons à Canut, et ce fut pour s'en éclaircir qu'il chargea Benoît, son frère, d'aller se saisir du gouverneur. Eigill se laissa conduire devant le roi sans aucune résistance ; il avoua son crime, et tâcha même de le justifier par des raisons qui tout au plus étaient spécieuses. Le prince n'en fut point ébloui ; et comme les officiers de sa cour, qui pour la plupart étaient parents ou amis d'Eigill, lui offraient une somme d'argent, afin de sauver la vie au coupable, il leur répondit : « Il n'en sera pas ainsi ; je ne veux point participer à un pareil crime : il mourra. Si c'est un crime capital de tuer un seul homme, quel supplice ne mérite pas celui qui en a fait périr un si grand nombre pour s'emparer de leurs biens ? » Personne n'osa répliquer. Le roi ordonna qu'Eigill fût conduit dans la forêt pour y être pendu à un arbre. Il n'épargna point non plus ses complices ; ils furent tous punis, selon qu'ils furent trouvés plus ou moins coupables.

Le saint roi ne s'occupait que des moyens de rendre ses sujets heureux. Il établit le plus bel ordre dans son royaume ; et comme l'exemple du prince influe beaucoup sur le peuple, il commença par régler son propre palais. Aux vertus qui font les grands rois, Canut joignait toutes celles qui font les grands Saints. Il châtiait son corps par des jeûnes rigoureux. Son amour pour la pénitence allait si loin qu'il faisait usage de la discipline et du cilice. Souvent il s'entretenait avec Dieu par des prières ferventes, afin d'obtenir les grâces dont il avait besoin. Il accréditait la piété, en protégeant et en honorant tous ceux qui servaient Dieu. Les ministres sacrés ressentirent les effets de sa libéralité.

Il accorda au clergé un grand nombre de privilèges et d'immunités ; son but en cela était de le rendre plus respectable au peuple. Il ne négligeait rien pour convaincre ses sujets de l'obligation où ils étaient de payer les dîmes, destinées à la subsistance de ceux qui s'étaient dévoués au service des autels. L'accroissement du royaume de Jésus-Christ lui parut encore un objet très-digne de son attention : de là ce zèle ardent pour la propagation de l'Evangile. Il fonda plusieurs églises, qui furent décorées avec une magnificence vraiment royale. Il fit présent d'une très-belle couronne, qu'il avait coutume de porter, à l'église de Roskild en Zélande, qui était sa capitale et le lieu de sa résidence .

Quoique l'Angleterre eût passé, en 1066, sous la domination de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, Canut ne laissa pas de prendre des mesures pour soutenir les droits que lui ou ses alliés pouvaient avoir sur ce royaume. Il y envoya des troupes; mais elles furent aisément vaincues, parce que personne ne voulut se joindre à elles. Quelques temps après, c'est-à-dire en 1085, Canut leva une nombreuse armée à la sollicitation de plusieurs Anglais réfugiés en Danemark : son dessein était de faire une descente en Angleterre, afin d'en chasser les Normands. Il eut le désagrément de voir échouer ce projet par la trahison de son frère Olas, duc de Schleswig, qui l'obligea, par des retardements affectés, à rester dans le détroit de Lymfiord ; et le départ fut tellement différé, que les troupes désertèrent à la fin.

Le saint Roi crut cette occasion favorable pour travailler à l'établissement des dîmes ecclésiastiques ; il ordonna donc qu'on paierait, en punition de la désertion, ou les dîmes ou une taxe considérable. Les Danois, qui avaient une aversion marquée pour l'assujettissement aux dîmes, aimèrent mieux payer la taxe, quelque grande qu'elle fût. Le prince, mortifié de ce choix, voulut qu'on levât l'impôt avec une sorte de rigueur, dans l'espérance que ses sujets changeraient de résolution.

Les collecteurs commencèrent à faire cette levée dans la Fionie ; ils passèrent ensuite dans la Jutie, puis dans la petite province de Wensyssel, à l'extrémité de la partie septentrionale de la Jutie. Cette province était alors la plus pauvre de tout le Danemark : elle avait deux préfets ou gouverneurs, Thor-Skor et Tolar-Werpill. Ils mutinèrent le peuple, se mirent à la tête des mécontents et levèrent l'étendard de la rébellion. Le roi, instruit de l'approche des rebelles, s'était retiré à Schleswig, d'où il passa dans l'île de Fionie avec un corps de troupes assez considérable ; de là il manda à la reine de se retirer au plus tôt en Flandre auprès de son père et d'y mener ses enfants avec elle. Ayant été quelque temps dans la ville d'Odensée, capitale de l'île, il résolut d'aller chercher les rebelles pour leur livrer bataille ; mais leurs chefs, quoique supérieurs en nombre, n'osèrent en venir aux mains avec des troupes bien disciplinées, aguerries et commandées par un prince qui avait déjà donné tant de preuves de sa valeur et de sa prudence ; ils eurent donc recours à la perfidie pour l'empêcher de se mettre en campagne. Un d'entre eux, nommé Asbiorn, l'alla trouver et lui dit que son peuple était rentré dans le devoir, ce qu'il assura par plusieurs faux serments.

Le roi, qui n'avait que des intentions pacifiques, crut le fourbe, malgré tout ce que put dire son frère Benoît pour l'empêcher de tomber dans le piège : mais il ne tarda pas à être détrompé, car il apprit que l'armée des rebelles marchait en diligence vers Odensée pour l'y surprendre. Cette nouvelle ne causa en lui aucun trouble ; il se rendit, selon sa coutume, dans l'église de Saint-Alban, où il entendit la messe. A peine fut-elle finie, qu'on vint lui dire que les ennemis approchaient à grands pas. Le comte Eric lui ayant conseille de prendre la fuite, il répondit : « Non, non, je ne fuirai pas. J'aime mieux tomber entre les mains de mes ennemis que d'abandonner ceux qui me sont attachés ; d'ailleurs on n'en veut qu'à ma vie ».
Le saint Roi ne pensa plus qu'à se préparer à la mort : il alla se prosterner au pied de l'autel, où, après avoir fait une humble confession de ses fautes, et protesté qu'il pardonnait à ses ennemis, il communia avec la plus parfaite tranquillité ; il prit ensuite le livre des psaumes, qu'il se mit à réciter. Cependant les rebelles arrivent auprès de l'église, et l'investissent de toutes parts. Benoît, frère du roi, en défendait les portes avec le peu de troupes qu'il avait ; mais pendant qu'il fait des prodiges de valeur, Canut reçoit un coup de pierre dans le front au-dessus du sourcil. Cette pierre venait du dehors et avait été lancée par une fenêtre de l'église. Le roi, loin d'interrompre sa prière, se contenta de porter la main à sa blessure pour arrêter le sang qui coulait en abondance. Les rebelles n'ayant pu forcer les portes de l'église, eurent encore recours à la trahison. Un de leurs chefs, nommé Egwind Bifra , demanda à parler au roi, sous prétexte de lui proposer des conditions de paix. Canut ordonna qu'on le laissât entrer ; mais Benoît n'obéit qu'à contrecœur, parce qu'il soupçonnait encore quelque nouvelle perfidie, et l'événement prouva qu'il avait eu raison ; car l'infâme Egwind s'étant baissé profondément en la présence du roi comme pour le saluer, tira, en se relevant, un poignard de dessous son manteau, et le lui enfonça dans le sein.

Le traître monta aussitôt sur l'autel pour se sauver par la fenêtre : mais lorsqu'il n'était encore qu'à demi sorti, Palmar, l'un des principaux officiers du roi, le divisa en deux d'un coup de sabre, de sorte qu'une moitié de son corps tomba dehors, et l'autre resta dans l'église. Ce spectacle ranime la fureur des barbares ; ils jettent des briques et des pierres par les fenêtres. Les châsses où étaient les reliques de saint Alban et de saint Oswald, que Canut avait apportées d'Angleterre, en furent renversées. Cependant le Saint, les bras étendus devant l'autel, recommandait son âme à Dieu, et attendait la mort avec résignation. Il était encore dans cette posture, lorsqu'un javelot lancé par une fenêtre acheva son sacrifice. Son frère Benoît périt aussi avec dix-sept autres personnes. Ceci arriva le 10 juillet 1086, selon Ænoth. Notre Saint avait régné près de six ans. Il eut pour successeur son frère Olas III.

Dieu vengea la mort de son serviteur en affligeant le Danemark de diverses calamités, entre autres d'une cruelle famine, dont les ravages durèrent pendant huit ans et trois mois du règne suivant. Le ciel attesta aussi sa sainteté par plusieurs guérisons miraculeuses qui s'opérèrent à son tombeau. C'est ce qui fit qu'on exhuma son corps à la fin du règne d'Olas, pour le mettre dans un lieu plus honorable que celui où il était. Eric III, successeur d'Olas, prince religieux, qui travailla avec autant de zèle que de succès à faire fleurir la piété dans ses Etats, envoya des ambassadeurs à Rome avec les preuves des miracles opérés au tombeau du bienheureux Canut. Le pape, après avoir examiné les pièces, donna un décret qui autorisait son culte, avec la qualité de premier ou de principal martyr de Danemark. On fit à cette occasion une translation solennelle de ses reliques qui furent mises dans une très-belle châsse. On trouva cette châsse à Odensée, le 22 janvier 1382, lorsqu'on travaillait à réparer le chœur de l'église de Saint-Alban ; elle était de cuivre doré, et enrichie de pierres précieuses, ainsi que de quelques autres ornements d'un très-beau travail.

On lisait dessus l'inscription suivante : « L'an de Jésus-Christ 1086, dans la ville d'Odensée, LE GLORIEUX ROI CANUT, trahi, comme Jésus-Christ, à cause de son zèle pour la religion, et de son amour pour la justice, par BLANCON, l'un de ceux qui mangeaient à sa table, après s'être confessé, et avoir participé au sacrifice du corps du Seigneur, eut le côté percé, et tomba contre terre devant l'autel, les bras étendus en croix. Il mourut pour la gloire de Jésus-Christ, et reposa en lui le vendredi 7 de juin, dans la basilique de Saint-Alban, martyr, dont quelque temps auparavant il avait apporté des reliques d'Angleterre en Danemark ».

(Les Petits Bollandistes, Tome I, pages 476 et suivantes)

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