Après le formidable coup de pied au cul lancé par les Irlandais dans l’arrière-train des eurocrates, ceux-ci sont sonnés. Tellement sonnés qu’ils n’ont pas tout de suite compris leur douleur.
Dans un premier temps, ils ont tous dit comme un seul homme qu’il fallait poursuivre partout le processus de ratification et qu’on trouverait forcément une solution pour ces imbéciles d’Irlandais : après leur avoir montré qu’ils sont isolés, on leur refera le coup du traité de Nice. Ce n’est quand même pas 1% de la population de l’Union européenne qui va arrêter l’élan des 99%, etc.
Aujourd’hui, ils découvrent qu’ils n’ont pas seulement les fesses rouges, mais que les paysans du Donegal, les pêcheurs de Cork et les ouvriers de Dublin leur ont provoqué des lésions plus profondes et plus douloureuses que prévu.
Le changement de ton de la présidence slovène est caractéristique. Vendredi après-midi, le Premier ministre Janez Jansa soulignait que le traité avait déjà été ratifié par 18 pays (ce qui est faux), que ce traité est nécessaire, et qu’avec tous nos partenaires, y compris l’Irlande, « nous allons examiner les moyens d’aller de l’avant ». Mais ce matin, le ministre des Affaires étrangères Dimitrij Rupel, en arrivant à Bruxelles, déclarait qu’il « serait risqué de dire que nous allons redonner vie au traité alors que nous sommes devant un blocage ». On remarquera qu’il a bien dit : « redonner vie » : il reconnaît que le traité est mort.
Car on peut toujours parader devant les médias en faisant comme s’il ne s’agissait que d’un négligeable accident de parcours, il demeure que le traité de Lisbonne est juridiquement caduc depuis jeudi soir, un fait incontestable que même la dictature eurocratique ne peut pas passer par profits et pertes.
La question devient lancinante quand on regarde d’un peu plus près la situation et qu’on s’aperçoit que nous ne sommes plus dans la perspective du traité de Nice.
Il y a deux différences essentielles. La première est le taux de participation. Après le référendum sur le traité de Nice, les eurocrates avaient fait valoir que le taux était très bas (moins de 35%) et qu’il était légitime de redemander l’avis du peuple irlandais. Mais cette fois le taux de participation a dépassé 53%, ce qui est un taux honorable pour un scrutin européen. La seconde raison, plus fondamentale, est que le traité de Nice était un traité d’étape, qui ne changeait rien à l’Union européenne : il s’agissait uniquement de redéfinir la représentation des différents pays en fonction de l’élargissement. Le traité de Lisbonne est tout autre. On a beau le qualifier avec insistance de « traité simplifié », chacun sait que ce n’est pas vrai, et qu’il s’agit de la Constitution européenne, rendue beaucoup plus complexe que son texte initial. Il s’agit donc du traité européen le plus important après le traité de Rome. On ne peut pas se comporter comme s’il s’agissait d’un document mineur et prétendre le faire passer par un nouveau référendum en y ajoutant une petite clause qui calmerait les Irlandais comme on l’a fait à Nice en garantissant la neutralité de l’Irlande... d’autant que ça, c’est déjà fait..