C’est aujourd’hui que la liturgie sous copyright des évêques ose nous donner la prophétie d’Isaïe sous cette forme :
« Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils »
Fabuleuse prophétie, n’est-ce pas, d’annoncer qu’une jeune femme est enceinte…
Je reproduis ici une partie de ce que j’ai écrit dans les commentaires à ma note sur le rabbin Chaya.
Au troisième siècle avant Jésus-Christ, des rabbins d’Alexandrie, qui étaient aussi savants en grec qu’en hébreu, traduisirent la Bible en grec. C’est la Bible des Septante, ainsi appelée parce que selon la tradition ils étaient 70 rabbins et ont effectué leur travail en 70 jours (chiffres qui symbolisent la perfection). Cette bible se répandit partout, et lorsque l’évangile cite l’ancien testament, lorsque le Christ cite l’ancien testament, c’est dans le texte des Septante. Ce texte est tout naturellement devenu celui de l’Eglise grecque, et il l’est jusqu’à nos jours.
On notera par exemple, en ce temps de l’Avent, que dans la prophétie d’Isaïe, Dieu donne comme signe le fait qu’une “almah” enfantera. Saint Matthieu souligne qu’Isaïe avait annoncé qu’une vierge serait enceinte et donnerait naissance à un fils extraordinaire. Trois siècles avant, les Septante avaient tout naturellement traduit “almah” par “parthenos” : vierge. Aux débuts du christianisme, les rabbins ont rejeté la Septante, pour des raisons comme celles-là. Ils ont dit que “almah” voulait dire jeune fille. En effet, “almah” veut dire a priori “jeune fille”. Mais toutes les jeunes filles qui sont désignées comme “almah” dans la Bible sont vierges (alors que toutes celles qui sont désignées comme “bethoulah”, qui a priori veut dire “vierge”, ne le sont pas). Et ce qui est prodigieux, c’est évidemment qu’une vierge soit enceinte, pas une “jeune fille”. Mais sous l’influence du judaïsme, aujourd’hui, les Bibles en français disent “jeune fille” dans le texte d’Isaïe, tout en étant bien obligées de garder “vierge” dans la citation d’Isaïe que fait saint Matthieu, puisqu’il dit “parthenos”. Et dans la liturgie actuelle en français, “almah“ est même traduit par “jeune femme“, ce qui n’a plus aucun sens.
Oui, nous sommes les héritiers des Septante, de ces rabbins de la véritable religion juive qui traduisaient “almah” par “parthenos”. Nous ne sommes en aucun cas les héritiers de ceux qui traduisent “almah” par “jeune fille”, et il est intolérable qu’une liturgie catholique dise “jeune femme”, accusant ainsi saint Matthieu de falsification du texte d’Isaïe, comme le font les rabbins actuels.
Commentaires
Affligeant !
Cependant ici, à la lecture pendant la messe, c’était heureusement encore le « Une vierge est enceinte »
Marie réunit en elle, les deux pôles psychologiques et moraux de la féminité (selon Benoît XVI dans Entretiens sur la foi) : la virginité et la maternité. C'est un incompréhensible miracle que Dieu a fait en faveur de sa mère que nous avons, par la foi, le bonheur d'admirer et qui explique le culte particulier des femmes pour la Sainte Vierge.
avant de commenter cet article, qui se réfère à des questions passionnantes d'exégèse, je commence par affirmer après bonne lecture que l'engendrement de Jésus le Christ en Saint Matthieu n'est jamais référé à Joseph mais à personne en Mt 1.16 (passif théologique) et au seul Esprit-Saint en Mt 1.18 et 1.20. Ainsi, Mt proclame-t-il ce que les catholiques appellent la conception virginale de Jésus le Christ.
La virginité de Marie elle-même est un autre problème :
en Mt 1, celle-ci peut se "tracer" à partir de Mt 1.25 en ce sens qu'il n'y a pas de relation conjugale entre Joseph et Marie au moins jusqu'à la naissance ou enfantement de Jésus, sachant que le texte ne présage rien pour l'après, ni en pour, ni en contre : ce que confirme 1S 6.23, où Mikal n'a pas d'enfant "jusqu'au jour de sa mort", affirmation qui concerne évidemment la seule période menant au terme de sa vie. Même chose pour Marie : sa virginité est affirmée pendant la seule période qui intéresse Saint Matthieu, à savoir sa cohabitation avec Joseph qui "la prit chez lui" (Mt 1.24) jusqu'à la naissance de Jésus-Christ, ceci afin d'établir solidement son unique propos : Jésus le Christ n'est pas engendré par Joseph. Matthieu dit cela et ne dit que cela : le statut virginal de Marie en tant que tel, à mon sens, ne l'intéresse pas, sinon comme référé à l'engendrement du Messie. Rappelons que le grec de Mt appelle Joseph "l'homme de Marie"("anêr") Mt 1.16.19. et Marie "la femme de Joseph"("gunê") Mt 1.20.24, tout en expliquant ce que signifie "fiancés" en 1.18 (mariés mais pas encore cohabitants). Lc évite des termes aussi crus et est le seul des deux à qualifier Marie comme "parthenos" = vierge.
Saint Luc, lui, parle plus directement de la virginité de Marie en tant que telle dans le programme de sa vie, à travers cette parole : "comment cela sera puisque je ne connais pas d'homme ?" Lc 1.35 (et là je râle contre les traductions liturgiques et/ou bibliques "je suis vierge" ou en moins pire "je n'ai pas de relations conjugales" qui ne rendent pas compte du présent de durée et d'intention contenu dans l'original grec, équivalent à "je ne bois pas de café").
J'en viens à votre propos : le terme "parthenos" est-il un élément de preuve concernant la virginité de Marie ? Y a-t-il un changement important de sens entre "almah" et "parthenos" ? comment se traduisent l'un et l'autre ? Is 7.14 en grec (LXX) annonce-t-il par mode de suggestion la virginité proprement dite de Marie au futur, raison pour laquelle Mt aurait cité cette version plus conforme à son propos de témoigner de l'accomplissement des Ecritures ?
Brièvement, je souhaite répondre ce qui suit :
Le contexte d'Isaïe 7.14 est celui d'un double danger de guerres menées par le roi d'Assyrie, danger dont Dieu et le prophète annoncent la fin prochaine, Is 7.16 "avant que l'enfant ne sache rejeter le mal et choisir le bien" - l'enfant dont il s'agit est celui dont la naissance est annoncée dans notre fameux passage d'Is 7.14. L'"intentio auctoris" n'est donc pas de s'étendre sur la mère et la conception-enfantement mais d'annoncer la fin d'une guerre.
Que veut dire "almah" ? Dans le dictionnaire "Brown, Driver, Briggs", il s'agit d'une jeune femme nubile, sexuellement arrivée à maturité, qu'elle soit jeune fille ou jeune mariée. Il se trouve en effet que les "almah" de l'ancien testament citées par le dictionnaire sont probablement toutes des jeunes personnes de sexe féminin (Gn 24.3 = non épousée, Ex 2.8 = soeur du petit Moïse, Pr 30.19 = l'homme va vers elle, Is 7.14 = la jeune femme du roi et mère d'Ezechias ?, 1Ch 15.20 et Ps 46.1 = instruments et chants pour les jeunes filles ?) Sont-elles toutes vierges ?
En tout cas pas celle d'Is 7.14 dans l'hébreu (verbe concevoir au parfait "qal" = "a conçu", avec effet au présent = "est enceinte"). le mot "almah" ne sert donc pas à annoncer une conception virginale.
"parthenos" en Is 7.14 : notons ici que tous les verbes grecs sont au futur, ce qui n'était pas le cas dans l'hébreu : "voici que la "parthenos" aura dans le ventre", traduction littérale, l'expression "avoir dans le ventre" = "èn gastri" étant reprise en Mt 1.18. Qui sont les "parthenos" de la bible des Septante ? Sont-elles toutes vierges ?
Une au moins ne l'est pas, c'est Dina, la fille de Jacob, après son viol : Gn 34.3 "il aima la jeune fille et lui parla selon sa pensée " traduit : "êgapêsèn tên parthenon", dans le contexte de Gn 34.2 où Sichem prend Dina de force et la déshonore, s'attache à elle de toute son âme et lui parle de toute sa pensée. Si on prend ce texte à la suite, on s'aperçoit que la "parthenos" a déjà couché. Il n'y a donc pas de lien entre l'emploi seul de ce nom et la virginité au sens technique ; ni avec l'annonce de la conception virginale. La traduction des Septante ne rajoute rien à l'hébreu, et "parthenos" est bien l'équivalent d'"almah", tous deux désignant une "jeune personne" sans aucune autre détermination que le fait qu'elle soit nubile ou arrivée à maturité sexuelle. C'est pourquoi "nubile" me semble le plus adapté pour traduire tant "almah" que "parthenos". Je crois que c'est la version de Chouraqui pour Is 7.14 : à vérifier.
Matthieu cite-t-il Is 7.14 dans les Septante ? Oui mais en partie seulement : Dans LXX c'est Achaz qui nomme l'enfant. Dans le texte grec cité par Mt 1.23, on a "ils appelleront son nom Emmanuel". Dans le texte hébreu c'est la mère qui donne le nom à l'enfant. Il n'y a donc aucune progression théologique entre l'hébreu et les LXX sur ce verset - et même une régression quant au rôle exclusif de la mère. Et enfin, Mt ne cite les LXX que très imparfaitement pour remplacer le père par un sujet multiple (le futur peuple des croyants ?).
Ceci pour conclure : je crois qu'il ne faut pas sauter comme un cabri (ce n'est pas une citation !!!) sur le mot "vierge" qui est à lui seul incapable d'annoncer la conception virginale dans l'ancien testament, incapable de la désigner dans le nouveau testament, et incapable de porter à lui seul le dogme de la virginité perpétuelle de Marie. Marie est une "almah", une "parthenos", c'est à dire une nubile et rien de plus. Ce sont d'autres données qui fondent vraiment ce qui est à croire, à savoir que l'engendrement humain du Christ est d'origine strictement transcendante et divine (l'Esprit Saint), et que cela arrive à quelqu'un (Marie) qui n'a jamais cessé d'inscrire sa vie dans une grâce et un propos de virginité perpétuelle.
Je comprends le souci grave des traductions bibliques et liturgiques, ce qui témoigne du respect envers les sources documentaires de la foi ; mais ce respect ne permet pas non plus que l'on force indûment le sens des mots, de leur traduction, de leur emploi, fût-ce par souci de préserver le dogme auquel les catholiques croient fermement en vertu de la tradition reçue des Apôtres.
J'en tire une dernière conséquence : ce qui est arrivé alors et que nous croyons aujourd'hui, relève de l'inouï que ne pouvaient pas décrire les Ecritures antérieures : rien n'annonçait clairement et directement une conception virginale du Messie par l'Esprit-Saint, l'identité divine filiale du Messie davidique, et même la vocation de Marie à la virginité perpétuelle. L'après est précontenu dans l'avant, mais en Dieu et par Lui ; dans les visites historiques de Dieu et leurs effets, l'après est une nouvelle création qui engendre une réinterprétation à nouveaux frais, selon l'inédit, tout en honorant pleinement le meilleur de la tradition antérieure. Jésus est bien Christ, fils de David, mais tout autrement, de manière inouïe, tout en respectant les canons de la filiation juive qui joue à plein dans l'adoption par Joseph, tout en respectant le fait que le Messie est une personne liée au Saint Esprit (Is 61). C'est ainsi que Dieu se révèle dans l'histoire ; c'est ainsi que Matthieu raconte les événements, l'accomplissement des prophètes, et s'adresse à bon droit aux Juifs, chrétiens ou non ; c'est ainsi, mais c'est un tout autre débat, que l'on peut comprendre et pratiquer ce qu'on appelle la tradition vivante de l'Eglise. Voilà, à peu près, et comme j'ai pu, ma pensée sur ce beau sujet qui est au coeur de ce temps liturgique.
Ce que vous dites est très intéressant, mais ne me convainc pas du tout.
Il et incontestable que le mot parthenos veut dire vierge. Avec une majuscule, avant de désigner la Mère de Dieu, c'était la déesse vierge Athéna, la constellation et le signe astrologique. Le mot parthénogénèse atteste également cette définition.
Si saint Matthieu a reproduit la prophétie d'Isaïe, c'est bien parce que le texte dit "parthenos" et annonce donc une naissance virginale.
"Voici que la vierge sera enceinte et donnera naissance à un fils, et on l'appellera du nom d'Emmanuel."
Il ne cite rien d'autre, et il n'aurait aucune raison de citer ces quelques mots s'il ne s'agisait pas d'une vierge. Car tel est le "signe" qui nous est donné. Il va de soit qu'une jeune femme enceinte n'est pas un signe, c'est parfaitement banal. Et une jeune fille enceinte ce n'est pas non plus un signe, c'est le fruit d'un péché.
Allez donc dire à un chrétien de tradition grecque que "parthenos" ne veut pas vraiment dire "vierge", il vous prendra pour un fou. Et encore, s'il n'y avait que la sémantique. Mais il y a toute la tradition unanime, tous les pères de l'Eglise. Dont les pères grecs...
D'autre part, il est impossible de se référer au texte hébreu comme s'il s'agissait du texte originel. Je sais bien que toutes les Bibles en français prétendent qu'elles ont été traduites "sur les originaux hébreux". Mais il n'existe pas d'original hébreu. Le texte le plus ancien que nous ayons est celui, en grec, des Septante. Les textes hébreux les plus anciens datent du VIIie siècle après Jésus-Christ, et la Bible entière du Xe siècle, soit plus de douze siècles après celui des Septante. Cette version hébraïque est le fruit d'une tradition remontant aux... premiers siècles du christianisme, quand les rabbins ne cherchaient plus à traduire leurs textes sacrés en grec, mais "relisaient" et révisaient le texte hébreu en gommant autant que possible ce qui pouvait donner raison aux chrétiens.
J'ajoute que le texte le plus ancien, après celui des Septante, est la Vulgate: cinq siècles avant les textes massorétiques. Saint Jérôme avait à sa disposition les Hexaples d'Origène: une Bible sur six colonnes, avec le texte hébraïque, le texte hébraïque tel qu'il éait prononcé au IIIe siècle, et quatre traductions grecques dont la Septante. C'était un outil exceptionnel, qui permet de comprendre l'autorité de la Vulgate. Ce manuscrit fut déposé à la bibliothèque de Césarée, et fut détruit lors de la prise de la ville par les Arabes...
Les textes authentiques de la Bible hébraïque sont donc
1 la Septante : parthenos
2 la Vulgate : virgo.
Enfin, "parthenos", chez Isaïe et chez saint Matthieu, se traduit en arabe par "adhra", dont la seule signification est "vierge".
Très modestement, je voudrais apporter également une suite à la discussion du Rabbin Chaya tout en restant dans le temps de la Nativité.
Je remercie YD des éclaircissements qu’il nous avait donné sur les héritiers du judaïsme. Grâce à lui je comprends mieux l’extrait de La légende Dorée, de Jacques de Voragine,
datant du XIIIe Siècle :
Nativité du Seigneur
« … Alors qu’ils approchaient de Bethléem, la vierge vit qu’une partie du peuple se réjouissait, tandis que l’autre se lamentait. Un ange lui expliqua pourquoi : « La partie du peuple qui se réjouit, c’est le peuple païen, qui recevra la bénédiction éternelle dans la race d’Abraham ; la partie qui gémit, c’est le peuple juif, condamné par Dieu en raison de sa propre faute. »… »
Pour la virginité de la Vierge, je vous livre la suite.
« En effet, la mère fût vierge avant et après l’accouchement. Qu’elle soit demeurée vierge, cinq preuves l’attestent. Il y a d’abord la prophétie d’Isaïe : Voici qu’une vierge concevra… La deuxième preuve se fait par figure : l’événement est préfiguré par la verge d’Aaron qui fleurit sans aucun effort humain et par la porte d’Ézéchiel qui demeura toujours close. La troisième preuve est apportée la garde assurée de Joseph, témoin de la virginité. La quatrième preuve relève de la vérification (…). Quand le temps de l’accouchement de Marie approcha, Joseph appela deux sages-femmes, dont l’une s’appelait Zébel et l’autre Salomé : Ce n’était pas qu’il doutât que la Vierge dût enfanter Dieu, mais il observa les usages du pays. Zébel observa, considéra Marie et, la voyant vierge, proclama qu’une vierge avait enfanté. Mais Salomé ne crut pas et voulut éprouver la chose ; immédiatement sa main se dessécha. Pourtant, sur l’injonction d’un ange qui lui apparut, elle toucha l’enfant et fut tout de suite guérie. La cinquième preuve se trouve dans l’évidence du miracle : Comme l’atteste le pape Innocent III, Il y eut à Rome une paix de douze ans ; les Romains construisirent un très beau temple de la Paix et y placèrent la statue de Romulus. Ceux qui consultèrent Apollon pour savoir combien de temps cette paix durerait reçurent comme réponse quelle durerait jusqu’à une vierge enfante. En entendant cet oracle, ils dirent : « Elle durera donc toujours. » Car ils croyaient qu’il était impossible qu’une vierge enfantât. C’est pourquoi ils inscrivirent sur les portes du temple : « Temple éternel de la Paix. » Mais la nuit même où la Vierge enfanta, le temple s’écroula de fond en comble, et c’est sur son emplacement que fût construite depuis l’église de Sainte-Marie-la-Nouvelle. »
Merci pour les développements sur "parthenos" et plus encore sur l'antériorité des manuscrits et l'histoire des versions antiques. Cependant, sur la base d'un accord de foi commune (personne ne remet en cause le dogme catholique), je maintiens une différence d'appréciation exégétique et probablement théologique. Pourquoi ? Parce que le sens des mots tient compte quand même de la fonction qu'ils occupent dans un texte. Sur cette base, toutes les "parthenos" des Septante ne sont pas des vierges au sens technique, cf. Gn 34 à propos de Dina qui est qualifiée de "parthenos" après son viol.
Pourquoi Mt cite-t-il Is 7.14 (version des LXX) ? Parce que dans le contexte qui est le sien, le mot "parthenos" veut évidemment dire vierge au sens technique. C'est là que je rejoins votre explication, mais en raison du contexte propre à Saint Matthieu qui passe son temps à préciser ce qui ne se trouve pas de soi dans "parthenos" dans la Bible, à savoir l'absence absolue de relations sexuelles (ici, entre Marie et Joseph).
Ceci implique que le point fondamental de notre divergence n'est pas la foi en la virginité de Marie fondée sur le texte de St Matthieu, mais la question de la réinterprétation amplificatrice de l'ancien testament dans le nouvau, et donc la question des prophéties et de l'accomplissement dans la tradition vivante de la révélation. Je continue à penser que c'est le contexte de Matthieu qui donne à "parthenos" son sens univoque de virginité physique absolue, contexte qui rejaillit par contrecoup ou en retour sur ses choix de citations scripturaires, et sur la sur-détermination de sens de ces prophéties dans son Evangile. C'est donc l'événement de Marie qui fixe le sens des mots de l'Evangile et précise à frais nouveux le sens de la prophétie, dont le vocabulaire était "ouvert", en particulier à cette précision dans la seule force de l'événement inouï et nouveau. Et voilà pourquoi il était pleinement légitime que Mt cite Is 7.14 dans la version antique des LXX.
Je sais bien que cette lecture est troublante parce qu'elle fonctionne par réinterprétations successives de textes ouverts sous la force de la nouveauté des événements salutaires au cours du temps de la révélation.
Dans la Bible de la LXX au moins, j'ai trop peu montré que toutes les occurences du terme "parthenos" ne sont pas univoques, et cette recherche est à poursuivre.
Par ailleurs, mon positionnement - tout à fait ouvert à la critique - contient l'idée que les prophéties disent un présent ouvert et possiblement porteur de "valeur ajoutée" aux gens qui sont les contemporains de la prophétie, la suite des événements se chargeant de dérouler le sens possible mais non clairement précontenu et surtout non utile au présent où le prophète parle. Excusez-moi, mais une maternité virginale n'a aucun intérêt pour Achaz empêtré dans ses problèmes de guerre et ses problèmes de foi défaillante. Par contre, qu'on lui promette que sa guerre finira avant que l'enfant à naître ait l'âge de raison, voilà qui le concerne. Et après coup, sous la force de l'événement réel et nouveau de la naissance virginale de Jésus (j'insiste ici sur la nouveauté de l'événement comme facteur déterminant dans la lecture du texte et du sens des mots) la prophétie d'Is 7.14 trouve un sens dévoilé pour ceux qui sont contemporains non plus d'Achaz mais du Christ. Ce sens était tout à fait possible quoique non encore acté dans les faits ni dévoilé depuis les mots même au temps de la prophétie d'Achaz. Je sais que cette lecture évolutive comporte des risques, mais il me semble que Dieu ne dit jamais de choses inutiles au mauvais moment, que la révélation a réellement progressé au fil des événements salutaires et dans leur force, et non pas comme une suite de réinterprétations idéologiques subjectives productrices de réalités à croire et de dogmes. Ce sont bien des faits consistants à proclamer qui ont conduit Matthieu à écrire son Evangile, avant toute idée de construction théologique. C'est pourquoi, mais c'est une conséquence, le caractère sur-déterminé des prophéties - qui ne disent pas avant ce qu'elles disent dans l'Evangile dans la force des faits nouveaux - est un indice du souci de Saint Matthieu d'être avant tout fidèle aux événements, qui l'ont comme forcé à réélaborer des textes antérieurs, à "rééditer" des prophéties qui restent fondamentalement en dessous de ce qu'elles annoncent quoique possiblement ouvertes à ce développement de sens, à cette précision de sens. Cette lecture de la prophétie révèle que Saint Matthieu a d'abord voulu relater des faits salutaires réels, fût-ce au prix d'une moindre fidélité au sens originel des prophéties, d'une transformation voulue de leur sens d'alors (voir en particulier le fait que c'est "ils" et non plus Achaz qui appellera l'enfant Emmanuel en Mt 1.24). Il faudrait - mais ce serait trop long ici - montrer à quel point les citations scripturaires et l'ancien testament lui-même comme histoire ne collent pas vraiment à l'événement que relate Saint Matthieu, sinon par voie de réinterprétation, de sur-détermination de l'avant sous l'effet de l'après, quand ce n'est pas aussi par voie de décrochage complet et de reprise à frais nouveaux (je pense ici à l'effort manifeste de Saint Matthieu pour montrer que Jésus est le Christ davidique, et pour montrer comment il l'est puisqu'il l'est de manière tellement complexe et inédite). L'événement nouveau commandait, non l'élaboration théologique d'une part (contre les subjectivistes qui font des Evangiles de l'enfance un roman théologique) ; Dieu parle dans les faits de l'histoire salutaire et dans le fait scripturaire non pas de manière bloquée, mais selon un développement qui dessine les contours d'une anamnèse liturgique et d'une réinterprétation sous son inspiration (contre les fixistes déterministes) ; c'est ainsi qu'il a parlé aux uns en vue des autres et aux prophètes en vue du Christ, mais toujours à chacun au bon moment, dans l'enrichissement novateur de ce qui précède, et dans l'ouverture obscure aux possibles à venir. Ceci commande, à mon avis, et la lecture des événements salutaires, et la lecture des mots de l'Ecriture Sainte.
Oui, là nous sommes globalement d'accord.
"sur-détermination de l'avant sous l'effet de l'après, quand ce n'est pas aussi par voie de décrochage complet et de reprise à frais nouveaux"
Mais il en est ainsi de toutes les prophéties reprises dans le Nouveau Testament, et dans la liturgie: par exemple dans les incessantes citations d'Isaïe au cours de l'Avent.
En fait on n'en a plus rien à faire d'Achaz et de ses problèmes quand la prophétie a été réalisée sur un plan supérieur et qu'elle n'a donc plus aucun rapport avec son contexte.
C'est précisément une fonction des évangélistes (et c'est ce que fait le Christ lui-même à plusieurs reprises) de piquer chez les prophètes ou dans les psaumes des versets dont le "vrai" sens, le sens ultime, le sens utile pour nous, fait pénétrer le Mystère.
« Alors Il leur dit (aux pèlerins d’Emmaüs): O insensés, dont le cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu'Il entrât ainsi dans Sa gloire? Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, Il leur expliquait, dans toutes les Ecritures, ce qui Le concernait. »
(Luc 24, 25-27)
« Et Il leur dit (aux apôtres): C'est ce que Je vous disais lorsque J'étais encore avec vous, qu'il fallait que s'accomplît tout ce que a été écrit de Moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Alors Il leur ouvrit l'esprit, afin qu'ils comprissent les Ecritures. »
(Luc, 24, 44-45)
Merci pour vos réflexions.
Traduction littérale du Codex Bezae, sans doute le plus ancien texte connu de Luc:
"Et il leur dit: Telles sont mes paroles que je vous ai dites quand j'étais avec vous, qu'il importe qu'ait été accompli tout ce qui est écrit dans la loi de Moïse, Prophètes et Psaumes à mon sujet. Alors il ouvrit leur intelligence pour faire le rapprochement entre les écritures et il leur dit que selon ce qui est écrit : Souffrir le Christ! et se lever le troisième jour! puis être proclamé en son nom repentance et libération des péchés, en direction de toutes les nations, en commençant par Jérusalem. Vous aussi , témoins de cela!"
Notre problème est celui-ci: la question de la réinterprétation amplificatrice de l'ancien testament dans le nouveau.
Y a-t-il une telle réinterprétation? Selon la Révélation, non.
«David a vu d'avance sa gloire.»
Ce sont les Hébreux qui ont pu donner des interprétations mondaines aux prophéties qui parlent du Christ. C'est comme si les chrétiens interprétaient l'Apocalypse par des événements déjà accomplis dans l'emprire romain.
Les théologiens libéraux disent, à chaque coup qu'il y a une prophétie à propos du Christ: "Ici il s'agit du peuple d'Israël!" Mais, comme le [dé]montre Mgr Tom Wright, le Christ est lui-même le peuple d'Israël, à lui tout seul.