L’évangile de ce dimanche est d’une particulière densité. Notre attention est attirée par deux faits insolites : Jésus guérit un sourd-muet en lui mettant les doigts dans les oreilles et de la salive dans la bouche, alors qu’habituellement il guérit les malades par une brève parole ; l’évangéliste a gardé le mot araméen Ephpheta, et le traduit, alors que ce mot est très banal et pouvait être donné directement en grec comme toutes les autres paroles du Christ.
Ce mode de guérison est unique chez les synoptiques. Il ne peut être rapproché que de la guérison d’un aveugle dans l’évangile de saint Jean, lorsque Jésus met de la boue sur ses yeux et lui demande d’aller se laver à la piscine de Siloë (l’« Envoyé »).
Le Christ n’avait évidemment pas besoin de gestes pour guérir quelque malade que ce soit. Il s’agit d’un enseignement, et d’un enseignement rituel. Le miracle rapporté par saint Jean est le pendant du miracle raconté par saint Marc. Il montre à l’évidence qu’il s’agit (notamment) du baptême.
Le « doigt de Dieu » est la puissance du Saint-Esprit (les Pères font remarquer que lorsque Jésus dit en saint Luc : « Si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons... », il dit en saint Matthieu : « Si moi j'expulse les démons dans l'Esprit de Dieu... »), et la salive est en rapport avec le Verbe puisque sans salive on ne peut pas parler.
La foi entre par les oreilles (fides ex auditu) et s’exprime par la bouche. Le baptême confère la foi : il ouvre les oreilles.
C’est dans ce contexte que saint Marc garde le mot araméen Ephpheta. Il sait qu’il se passe là quelque chose d’exceptionnel, et que ce mot doit être gardé tel que l’a prononcé le Verbe.
Tout naturellement, l’Eglise a inclus ce rite, et ce mot, dans la liturgie du baptême. C’est avec une étonnante « légèreté » (ce sont d’autres mots qui me viennent à l’esprit) que l’Ephpheta a été de facto supprimé du rite du baptême.
(1) La piscine de Siloë, dont saint Jean est le seul à parler, a été découverte en décembre 2004. Une fois de plus, on a là un exemple de la précision topographique de l’évangile de saint Jean, qui contredit radicalement les billevesées de l’exégèse moderne sur un évangile qui serait seulement un discours théologique tardif.
(2) L’Ephpheta existe toujours dans le rituel romain en latin. Mais les évêques, obéissant au magistère des experts, ont décidé (en France, en tout cas) qu’il s’agissait d’un ornement superflu.