De toutes les grandes fêtes de l’année liturgique, celle de l’Epiphanie est la seule qui semble a priori avoir un objet tout différent dans la liturgie byzantine et dans la liturgie latine : celle-ci célèbre l’adoration des Mages, celle-là le Baptême du Christ. Et c’est d’autant plus étonnant que la liturgie latine a conservé le mot grec qui la désigne.
En réalité c’est ce mot qui importe : Epiphanie, à savoir apparition, ou plutôt manifestation, la manifestation aux hommes du Dieu fait homme. L’Epiphanie n’est pas la célébration d’un événement du salut, mais celle de la manifestation en tant que telle, la manifestation de toutes les théophanies formant une seule Epiphanie.
Cette épiphanie prend sa source dans la première d’entre elles, à savoir la Nativité. Elle célèbre donc d’abord la lumière, la lumière divine née sur notre terre dans la plus grande obscurité, et qui est venue pour illuminer le monde, selon la prophétie d’Isaïe : cette lumière est le Seigneur qui vient pour sauver les hommes, tous les peuples convergent vers lui, ils viennent de Saba, de Madian et d’Epha, apportant de l’or et de l’encens, les vêtements du salut sont des vêtements de noces, et tous ceux qui ont soif peuvent acquérir gratuitement l’eau du salut, acheter sans rien payer le vin et le lait…
Voilà l’Epiphanie. Les orientaux ont mis l’accent sur le baptême, parce que le baptême est spécifiquement l’illumination du croyant, et parce que le baptême au Jourdain est à la fois la première manifestation vraiment publique du Christ et la première manifestation de la Sainte Trinité. Les latins ont privilégié l’adoration des Mages, car elle est la première manifestation du Christ aux païens, donc l’annonce du salut pour tous les hommes.
Mais il ne faut pas réduire l’Epiphanie latine à l’adoration des mages, même si la galette est bonne, et bonne aussi la tradition populaire qui célèbre les rois. Aux matines, l’invitatoire appelle ainsi le fidèle : « Le Christ nous est apparu (le Christ fait son épiphanie), venez, adorons-le », sans autre précision. Le début des matines se concentre sur le Christ au Jourdain, des cinq antiennes des heures seules deux évoquent les mages, les hymnes célèbrent l’adoration des mages, le baptême au Jourdain et les Noces de Cana, qui sont aussi les trois mystères évoqués dans l’antienne du Magnificat, et qui sont merveilleusement tissés ainsi dans l’antienne du Benedictus :
« Hodie cælesti sponso juncta est Ecclesia, quoniam in Jordane lavit Christus ejus crimina ; currunt cum muneribus Magi ad regales nuptias, et ex aqua facto vino lætantur convivæ, alleluia. »
Aujourd’hui l’Eglise s’unit au céleste Epoux, parce que ses péchés sont lavés par le Christ dans le Jourdain ; les Mages accourent avec des présents aux noces royales, et l’eau étant devenue du vin les convives sont dans la joie. Alléluia.