Examinons maintenant pourquoi, à la consécration, le prêtre élève le corps du Seigneur et le montre ainsi aux fidèles. On en donne plusieurs raisons.
La première et la principale, c'est afin de recouvrer la faveur de Dieu le Père, que nous avons perdue par nos péchés. Le péché seul offense et irrite Dieu, selon cette parole du Psalmiste : « Ils ont allumé sa colère par leurs œuvres criminelles. » Le prêtre élève donc le corps de Jésus-Christ comme pour dire : « O Père céleste, nous avons péché et nous avons provoqué votre colère. Mais maintenant abaissez vos regards sur la face de votre Christ que nous vous présentons afin de changer votre indignation en miséricorde. Ne détournez donc point vos yeux de dessus votre enfant; mais souvenez-vous que vous avez dit vous-même en parlant de lui : « C'est ici mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. Corrigez miséricordieusement en nous tout ce qui est répréhensible ; convertissez-nous à vous, et détournez votre colère de dessus nos têtes. »
Cette élévation a lieu aussi pour demander et obtenir tous les biens dont nous avons besoin pour la vie présente et la vie future. Or, le premier bien nécessaire en ce monde, c'est la paix, et nul ne saurait l'avoir que par l'éloignement de tout péché mortel. C'est de cette paix que Jésus-Christ a dit : « Je vous donne ma paix. » Le second bien, c'est la charité, et elle nous est nécessaire pour la vie future. Ici-bas elle dirige l'homme et le conduit au céleste bonheur. De là cette parole de saint Jean : « Celui qui demeure en la charité, demeure en Dieu. » Lors donc que le prêtre élève le corps du Seigneur, il semble nous dire : « Si vous voulez obtenir ce qui fait l'objet de vos désirs, ayez la paix entre vous et conservez une charité mutuelle, car Jésus-Christ, par sa mort, nous a réconciliés avec Dieu et les anges, et, par sa charité, il nous a préparé les biens éternels. »
En troisième lieu, l'élévation se fait en reconnaissance du droit que nous avons dans le ciel, droit dont nous jouissons maintenant par l'espérance, et qui après la mort se changera en réalité. Ce droit n'est autre que la vie éternelle elle-même. De là ces paroles de Notre-Seigneur, dont voici le sens : « Je suis venu en ce monde afin que mes imitateurs aient la vie dans le temps présent, et qu'ils la possèdent plus abondamment encore dans l'éternité. » Ce droit a été écrit d'une manière toute spéciale comme un privilège, c'est-à-dire qu'en Jésus-Christ il a été gravé avec un stylet de fer, lorsque le côté du Sauveur fut ouvert par la lance, lorsque ses mains et ses pieds furent percés par les clous. Le prêtre, élevant donc le corps du Seigneur, semble s'écrier : « O esprits angéliques présents à ce sacrifice, soyez témoins que la vie éternelle est notre droit ; et c'est pour le confirmer que nous élevons le gage que nous en avons reçu, Jésus-Christ immolé pour nous. »
La quatrième raison, c'est afin de montrer la puissance de Dieu. C'est en effet une grande marque de la puissance divine de voir que, par ces seules paroles : Ceci est mon corps, le pain se soit changé substantiellement au corps de Jésus-Christ. C'est là un changement opéré par la droite du Très-Haut, un changement qui surpasse toutes nos pensées. Le prêtre, élevant le corps du Seigneur, nous dit donc par cette action : « Il n'y a qu'un instant, vous avez vu du pain sur l'autel : maintenant que la consécration est accomplie, contemplez le corps de Jésus. Mais si Dieu est assez puissant pour produire un tel changement, il le sera assez pour nous amener du péché à la grâce et ensuite à la gloire. »
La cinquième raison, c'est afin de faire connaître aux hommes la sagesse de Dieu. En effet, Jésus-Christ nous donne une preuve de sa sagesse admirable et ineffable en se montrant ainsi voilé à nos yeux ; et c'est de ce voile dont il est couvert que le Prophète a parlé quand il a dit : « Vous êtes vraiment un Dieu caché, le Dieu sauveur d'Israël. »
Nous devons remarquer ici que le Seigneur s'est caché pour plusieurs motifs sous la forme du pain. S'il eût paru à nos yeux tel qu'il est ou tel qu'il fut sur la croix, beaucoup eussent pris la fuite de frayeur sans pouvoir se résoudre à le recevoir, selon qu'il arriva lorsque le Sauveur eut dit : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, vous n'aurez point la vie en vous. » Plusieurs se retirèrent effrayés et cessèrent de marcher à sa suite, car ils s'imaginaient qu'ils devraient se nourrir de lui en déchirant ses membres; ce qui , en effet , eût été quelque chose d'horrible pour notre nature. Mais, dans la Cène, il a voilé son corps et son sang, et c'est en cet état qu'il l'a donné en nourriture aux hommes. Il y a encore d'autres raisons de cette manière d'être du Seigneur sous les espèces sacramentelles; mais je n'en parlerai pas ici.
On élève, en sixième lieu , le corps de Jésus-Christ afin de nous montrer sa générosité envers nous. Quelle générosité plus grande, en effet, que de donner à manger à l'homme le pain des anges ! Le prêtre, en offrant ainsi à nos regards le corps du Seigneur, nous crie donc : « O fidèles de Jésus-Christ ! contemplez et réjouissez-vous ! voici la céleste nourriture des anges que le Roi généreux des cieux nous a donnée afin que nous soyons remplis de toute grâce et de toute bénédiction! Mais, malheur à celui qui ne s'inquiète nullement de recevoir ce très-saint aliment et qui s'en éloigne ! En lui s'accomplit cette parole du prophète Élisée : « Vous le verrez, et vous n'en serez point participant. » Beaucoup, en effet, voient le corps du Seigneur, mais n'y participent pas et s'en éloignent par leurs péchés.
La septième raison de l'élévation du corps de Jésus, c'est afin de nous manifester sa bonté. Quelle bonté plus admirable que celle qui porte le Sauveur à se rendre captif sur nos autels ! Aussi avait-il dit de lui-même en la personne de Jérémie : « Me voici entre vos mains, faites de moi ce qu'il vous plaira. » Remarquez bien que, lorsqu'un chef est prisonnier pour les siens, on ne le relâche pas qu'il n'ait donné une rançon considérable. Ainsi ne devons-mous point laisser s'en aller Jésus, notre captif, qu'il ne nous ait accordé la rémission de nos péchés, et que nous n'ayons reçu de lui le royaume des cieux. Le prêtre, donc, élevant le corps du Seigneur, nous dit : « Voilà que nous avons en notre puissance celui que le monde entier ne saurait contenir, ne souffrons donc pas qu'il s'en aille avant d'avoir obtenu de lui l'objet de nos demandes. »
La huitième raison, c'est afin de réjouir la sainte Eglise en lui présentant l'étendard sous lequel elle doit combattre, afin que ceux qui marchent sous cet étendard sacré puisent dans sa vue la joie et le courage. La vie de l'homme est un combat, dit Job ; aussi le prêtre semble-t-il dire aux élus, en offrant à leurs yeux le corps du Seigneur : « Ne craignez pas, mais combattez avec assurance. Voici notre étendard : c'est sur la croix qu'il a reçu, à cause de nous, cette couleur ensanglantée. Voici Jésus notre Seigneur, il se tient au milieu de nous. »
La neuvième raison, c'est afin de nous donner un modèle à imiter et à suivre. Ainsi, pour que les pécheurs s'excitent à marcher après lui et ne désespèrent pas du pardon, le Fils de Dieu montre son côté à son Père et offre ses blessures à ses yeux. Ce qui fait dire à saint Bernard : « Nous pouvons nous approcher de Dieu en toute sécurité, car le Fils présente les citatrices de ses plaies à son Père, et Marie son sein au fils qu'elle a nourri. » Le prêtre, à l'élévation, crie donc au pécheur et à tous les chrétiens : « Voici le Fils de Dieu qui a été étendu et élevé sur la croix. Suivez-le afin de souffrir au moins quelque chose pour celui qui a tout souffert pour vous. » Saint Pierre a dit : « Jésus-Christ a souffert pour nous, et il vous a laissé l'exemple afin que vous marchiez sur ses traces. » Nous devons donc lui compatir et ne jamais oublier le bienfait de sa Passion.