Il y a d’abord une pêche ; c’est l’exercice de l’apostolat par la sainte Église. Pierre est le grand pêcheur ; c’est à lui de déterminer quand et comment il faut jeter le filet. Les autres Apôtres s’unissent à lui, et Jésus est avec tous. Il suit de l’œil la pêche, il la dirige ; car le résultat en est pour lui. Les poissons sont les fidèles ; car le chrétien, ainsi que nous l’avons déjà remarqué ailleurs, le chrétien, dans le langage des premiers siècles, est un poisson. Il sort de l’eau ; c’est dans l’eau qu’il puise la vie. Nous avons vu tout à l’heure comment l’eau de la mer Rouge fut propice aux Israélites. Dans notre Évangile, nous retrouvons encore le Passage : passage de l’eau du lac de Génésareth à la table du Roi du ciel. La pêche fut abondante, et il y a ici un mystère qu’il ne nous est pas donné encore de pénétrer. Ce n’est qu’au dernier jour du monde, quand la pêche sera complète, que nous comprendrons quels sont ces cent cinquante-trois gros poissons. Ce nombre mystérieux signifie, sans doute, autant de fractions de la race humaine, amenées successivement à l’Évangile par l’apostolat ; mais les temps n’étant pas accomplis encore, le livre demeure scellé.
De retour sur le rivage, les Apôtres se réunissent à leur maître ; mais voici qu’ils trouvent un repas préparé pour eux : un pain, avec un poisson rôti sur des charbons. Quel est ce Poisson qu’ils n’ont pas péché eux-mêmes, qui est soumis à l’ardeur du feu, et qui va leur servir de nourriture au sortir de l’eau ? L’antiquité chrétienne nous explique ce nouveau mystère : le Poisson, c’est le Christ qui a été éprouvé par les cuisantes douleurs de sa Passion, dans lesquelles l’amour l’a dévoré comme un feu ; il est devenu l’aliment divin de ceux qui ont été purifiés en traversant l’eau*. Nous avons expliqué ailleurs comment les premiers chrétiens avaient tait un signe de reconnaissance du mot Poisson en langue grecque, parce que les lettres de ce mot reproduisent dans cette langue les initiales des noms du Rédempteur. Mais Jésus veut unir dans un même repas, et lui-même le Poisson divin, et ces autres poissons de l’humanité que le filet de saint Pierre a tirés des eaux. Le festin de la Pâque a la vertu de fondre en une même substance, par l’Amour, le mets et les convives, l’Agneau de Dieu et les agneaux ses frères, le Poisson divin et ces autres poissons qu’il s’est unis dans une indissoluble fraternité. Immolés avec lui, ils le suivent partout, dans la souffrance et dans la gloire ; témoin le grand diacre Laurent, qui voit aujourd’hui autour de sa tombe l’heureuse assemblée des fidèles**. Imitateur de son maître jusque sur les charbons du gril embrasé, il partage maintenant, dans une Pâque éternelle, les splendeurs de sa victoire et les joies infinies de sa félicité.
* « Piscis assus, Christus est passus » (le poisson grillé c’est le Christ dans sa Passion) : saint Augustin, 123e homélie sur saint Jean.
** La station romaine est à la basilique Saint-Laurent-hors-les-murs.