Devant la première statue de Notre-Dame de Lourdes arrivée à la maison-mère [des sœurs de la charité à Nevers] : «Ma chère sœur, est-ce qu’elle lui ressemble?». Bernadette n’a pas répondu, mais deux grosses larmes ont coulé de ses yeux. Elle a joint les mains et elle a dit en regardant la statue: «Oh! Bonne Mère, comme on vous défigure!».
Témoignage de Sœur Marie-Joséphine Durin
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La bonne Bernadette s’y connaissait, sans doute, fort peu en art, mais elle ne put s’empêcher de sourire de pitié quand ce Fabisch lui présenta ses esquisses et ses maquettes. Il n’en continua pas moins de modeler et de durcir ses pains de margarine et ses bols de cérat et, quand la statue fut terminée, Bernadette, que l’on consulta pour savoir si elle ressemblait à la Vierge, répondit : «Pas du tout» ; puis quelque temps après, alors qu’elle la vit, en place, dans la grotte, elle dut s’éloigner aussitôt, ne pouvant, nous raconte un témoin oculaire, le Dr Dozous, supporter la vue d’une telle image !
Ajoutons, pour attester le manque absolu de talent de ce très pieux homme, qu’il avait vu Bernadette en extase, qu’il avait par conséquent aussi vu un reflet divin éclairer une figure humaine et tout cela pour aboutir à cette effigie de première communiante, à cette tiède, à cette molle fadeur ! Ah ! ce qu’à notre époque la piété ne donne pas de talent ! Est-ce, dans toutes les branches de l’art, assez prouvé ?
Huysmans, Les foules de Lourdes
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Vous n’ignorez pas que Bernadette, la voyante de Lourdes, n’a jamais voulu reconnaître la physionomie du visage de Marie dans l’expression que les fabricants ont donnée aux statues de Notre Dame de Lourdes. Un jour, elle s’en plaignait à un éminent religieux qui l’avait discrètement interrogée à ce sujet. Le religieux possédait un album des Madones les plus connues du monde catholique. Il le fit voir à Bernadette : “De toutes ces images de Marie, voyez celle qui donne le mieux la ressemblance de la divine Mère”. Bernadette ou plutôt sœur Marie Bernard feuilleta l’album avec attention, examina à plusieurs reprises quelques types qui la frappaient davantage, et enfin s’arrêta émue devant une image byzantine aux traits réguliers, au regard empreint d’une douceur profonde comme son amour : “Voilà, dit-elle, ce que je trouve de plus ressemblant”. C'était l’image de Notre-Dame de Grâce de Cambrai. Je tiens, dit en terminant Mgr Delannoy, l’anecdote du religieux lui-même qui, en me la racontant, ne pensait pas s’adresser à un serviteur fidèle de votre Madone.
Mgr Victor Delannoy, ancien séminariste à Cambrai, évêque d’Aire, s’adressant, en 1905, à Mgr Marie-Alphonse Sonnois, archevêque de Cambrai.
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La même anecdote revue par André Malraux, s’adressant à Picasso :
– On vous a parlé de l'image de la Vierge apparue à Bernadette ?
– Quelle Bernadette ?
– Celle de Lourdes. Elle a vu la Vierge de la grotte. Elle entre au couvent. Des âmes pieuses lui envoient toutes sortes de statuettes de Saint-Sulpice. Elle les flanque dans un placard. Stupéfaction de la supérieure : “Ma fille, comment pouvez-vous mettre la Sainte Vierge dans un placard ? – Parce que ce n'est pas elle, ma Mère !” Restupéfaction. “Ah ?… et comment est-elle ? – Je ne peux pas vous expliquer…” La supérieure écrit à l'évêque, qui apporte les grands albums des principales images de la Vierge, ceux du Vatican. Il lui montre Raphaël, Murillo, etc. N'oubliez pas que ça se passe sous le second Empire, qu'elle est une jeune paysanne, bergère je crois, qui n'a certainement vu, dans son bled, que des Vierges sulpiciennes, baroques à la rigueur. Elle fait non de la tête, toujours non. Au hasard des feuillets, passe la Vierge de Cambrai, une icône. Bernadette se lève, exorbitée, s'agenouille : “C'est elle, Monseigneur !”
Je vous ai dit, la Vierge de Cambrai est une icône. Repeinte, ornée de vagues angelots; mais ni mouvement ni profondeur, aucun illusionnisme. Le sacré. Et Bernadette n'avait jamais vu d'icône…
Il réfléchit :
«Vous êtes sûr ?
– Les lettres de l'évêque ont été publiées. Et à qui aurait servi le mensonge ?
– Une intrigue des cubistes !… Tout de même, je voudrais bien la voir, sa Vierge…
– Elle est toujours à Cambrai. Je vous enverrai la photo.
– Quand ?
Commentaires
Merci cher Yves
Connaît on l'origine de cette icône ? Byzance ? Jérusalem ?...
Selon une tradition elle viendrait de Jérusalem, mais de toute façon elle est byzantine (mais malheureusement retouchée).
http://www.paroissesdecambrai.com/origine-historique.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame_de_Gr%C3%A2ce_(ic%C3%B4ne)#L.27arriv.C3.A9e_.C3.A0_Cambrai_et_la_l.C3.A9gende_de_l.27.C5.93uvre
http://www.tourisme-cambrai.fr/page-21588.html
Réflexion faite, je pense que l'origine Jérusalem est seulement due à l'attribution de l'icône à saint Luc.
Et quelle est la source de l'anecdote Malraux-Picasso ?
Malraux, le Miroir des limbes, tome 2. (Pléiade page 750 selon ma source que je n'ai pas vérifiée mais qui paraît fiable.)