De La vie des saints de Bretagne Armorique, par Albert Le Grand, 1637.
Du temps que Conan Meriadec, premier Roy Chrestien de la Bretagne Armorique, residoit en la ville de Nantes, pour plus aisément reprimer les courses des Poictevins & Aquitains, il avoit laissé le gouvernement du Comté de Cornoûaille, à un noble Seigneur, nommé le Comte Romelius, lequel eut pour espouse une dame de Maison, non moins illustre, appellée Levenez ; & ils faisoient leur ordinaire demeure en la ville de Kemper-Odetz (qui, depuis, fut nommée Kempercorentin), capitale de leur gouvernement. Ce furent les Pere & Mere de nostre Saint, qui leur nasquit l'an de grâce 396, sous le Pontificat du Pape S. Sirice, & l'empire d'Arcadius & Honoré, & fut nommé, sur les Fonds de Baptesme, Guen-æl, c'est à dire, en breton, Ange blanc, présage de la candeur & innocence Baptismale qu'il recevoit & qu'il conserva toute sa vie. Ayant passé les plus tendres années de son enfance, lors qu'il commença à parler distinctement, sa mere luy apprit son Catechisme & les principes de nostre Créance, &, le croyant capable d'apprendre quelque chose de plus relevé, on luy bailla un Precepteur, pour l'instruire & élever en la vertu & es bonnes lettres, esquelles il faisoit un notable progrez, l'estude n'atiedissant en luy la ferveur de l'Oraison.
II. Dés qu'il commença à connoistre le monde, il commença aussi à le mépriser, & s'accrut tellement ce mépris en son Ame, qu'il se résolut de le quitter entierement et se rendre Religieux en quelque Monastere. Sur cette resolution, S. Wennolé, nouvellement beny Abbé du Monastere de Land-Tevenec en Cornoûaille, fondé par le Roy Grallon, lors régnant, assisté de quatre de ses Religieux, vint à Kemper, visiter son maistre S. Corentin, premier Evesque de Cornoûaille ; & comme il passoit par une rue, nostre S. Guen-æl, qui joûoit sur le pavé avec quelques autres enfans de son âge, quittant ses jeux puerils, s'encourut vers luy, se mit à genoux & demanda sa benediction. Saint Wennolé, lisant en son visage quelque présage de future Sainteté, jugea que Dieu luy adressoit cet enfant, pour servir, un jour, d'ornement à son Monastere, &, le caressant doucement, luy dit : « Et bien, mon fils, voulez-vous venir quant & nous pour servir Dieu en nostre Monastere ? » « Ouy, mon Père, répondit Guen-æl ; c'est la chose que plus je desire en ce monde, & vous promets, dés à present, que je veux passer ma vie au service de Dieu, sous vostre Regle & Discipline. » Et, disant cela, il quitta tous ses compagnons & suivit le saint Abbé, lequel, pour éprouver sa perseverance, luy dit : « Non, mon enfant, retournez-vous en chez vostre pere, le chemin d'icy au Monastere est long & difficile, vous ne sçauriez nous suivre. » L'enfant luy répondit : « Mon Pere, j’ay quelques fois ouy lire, dans l'Evangile, que quiconque met la main à la charuë & regarde en arriere n'est pas propre pour le Ciel ; comment donc pourray-je, sans danger de mon salut, abandonner la resolution que j’ay fait de me dedier au service de Dieu en vostre Monastere ? » S. Wennolé, admirant sa perseverance, le conduisit chez ses pere & mere, &, de leur consentement, l'emmena en son Monastere, & prit luy-mesme le soin de son instruction.
III. Ce fut la septiesme année de son âge, & de nostre salut l'an 402, qu'il vint à Land-Tevenec, & y passa trois années en habit seculier, comme pensionnaire, en grande impatience de recevoir l'habit, dont il faisoit continuellement instance à saint Wennolé & aux autres Religieux, lesquels enfin luy accorderent sa requeste, & il fut vestu en presence du Roy Salomon I du nom & de toute sa cour, qui fondoit en larmes, voyant un jeune Seigneur, en un âge si tendre, fouler genereusement aux pieds les vanitez du monde et embrasser courageusement la Croix de la Penitence. Il couloit la dixième de son âge, qu'on comptoit de nostre salut l'an 405, &, nonobstant son jeune âge, il s'adonna avec tant de soin à l'acquisition des vertus, qu'en bref il égala les plus anciens & parfaits Religieux du Monastere. Jamais on ne le trouvoit oysif ; il passoit les nuits à prier & lire la sainte Escriture, assistoit devotement au Chœur, de nuit & de jour ; son humilité paroissoit en toutes ses paroles & actions ; il supportoit patiemment les infirmitez de son prochain, & jamais ne murmuroit de chose qui se passast ; il conserva soigneusement sa chasteté, et pour mieux s'en asseurer, il cherissoit la mortification & les rigueurs & austeritez ; il jeûnoit presque continuellement ; enduroit les chaleurs de l'esté & les froideurs de l'hyver, estant également vestu en l'une & l'autre saison. Pendant les plus grands froids de l'hyver, tous les soirs, lors que les Religieux s'estoient retirez en leurs Cellules, il alloit au bas du jardin du Monastere, &, se dépouillant tout nud, horsmis de son Cilice, il se plongeoit jusqu'aux aisselles dans l'estang ou vivier qui estoit en ce lieu, &, en cet estât, recitoit les sept Psalmes Penitentiaux, pour les Bien-faiteurs de son Monastère.
IV. Il avoit vescu dans le Monastère 43 ans, lors que Dieu, voulant recompenser saint Wennolé de ses longs travaux, luy revela sa mort prochaine, dont le saint vieillard, extremement aise, convoqua tous ses Religieux en Chapitre, leur annonça la revelation que l'Ange luy avoit faite, les exhorta à l'observance de leur Regle, prit congé d'eux, & leur nomma pour son successeur S. Guen-æl, les priant de luy donner ce contentement, avant mourir, que de confirmer, par leur élection, cette sienne nomination ; ce qu'ils firent très-volontiers, sans avoir égard à ses excuses & protestations, & S. Wennolé confirma son élection, &, peu de jours aprés, mourut saintement, & ses obseques célébrées, nostre Saint fut beny Abbé, au contentement de tous ses Religieux, au mois de mars l'an 448 ; laquelle charge il exerça 7 ans, jusqu'à l'an 455, que, desirant voyager en l'Isle de Bretagne, pour visiter les Monasteres qui y florissoient en sainteté, il se démit de son Abbaye, &, s'estant fait élire un Successeur, il prit onze de ses Religieux, avec lesquels il passa la mer, & fut quatre années en ce voyage, laissant, par tout où il passoit, des marques de sa Sainteté ; car il rendoit la veuë aux aveugles, l'ouye aux sourds, le marcher aux boëteux, & aux paralytiques le libre usage de leurs membres ; il chassoit le diable des corps des possedez & operoit d'autres miracles, qui le faisoient respecter des peuples & admirer des plus parfaits. Dieu exauçant les prieres des Religieux de Land-Tevenec, qui, depuis l'absence du saint Abbé, n'avoient cessé de requerir son retour, luy envoya un Ange, qui luy fit commandement de s'en retourner en Bretagne; à quoy il obeït, &, s'estant embarqué en un vaisseau Breton, qui estoit au Havre prochain, il vint prendre port en l'Isle de Groys, à la coste de Bretagne, l'an 459.
V. Si-tost que saint Guen-æl & ses Confreres eurent mis pied à terre, les Cloches de la principale Eglise de l'Isle (en laquelle il y avoit des Reliques de plusieurs Saints) commencerent à sonner d'elles-mesmes, d'un son & bransle tout extraordinaire, ce qui fit que le peuple s'y rendit en foule, & aussi les Moynes d'un Monastere fort renommé qui estoit dans l'isle, dont l'Abbé, voyant le peuple estonné de cette merveille, fit signe de la main qu'on luy prestast audience, &, estant monté au pupiltre, il leur dit : « Mes Frères, croyez mon conseil, & visitons les costes & rades de cette isle, car je crois sans doute que ce sont quelques saints Personnages qui nous sont venus visiter, dont nos saints Patrons (desquels les Reliques reposent en cette Eglise) nous ont voulu donner avis par ce miracle. » Tout le peuple approuva ce conseil & alla voir à la prochaine rade, où ils trouverent le vaisseau à l'ancre & le Saint & ses compagnons qui sortoient de l'esquif. L'Abbé les salua & les mena en son Monastère, où s'estant rafraischis, quelques jours, ils remonterent sur mer & débarquerent en terre ferme à la coste de Cornoûaille, d'où ils allerent par terre à leur Abbaye, où ils furent receus avec un contentement extresme.
VI. Aussi-tost qu'il fut arrivé à Land-Tevenec, ses Religieux le suplierent de reprendre sa charge d'Abbé ; à quoy il ne voulut consentir du commencement, mais ils l'en importunerent tellement, qu'il fut contraint de le leur accorder, & il exerça la charge trois ans, jusqu'à l'an 462, qu'il s'en démit de rechef & fit élire un autre en sa place, &, si-tost qu'il eut esté beny, il luy demanda congé de se retirer en quelque lieu solitaire & desert, pour faire penitence & se disposer à la mort ; mais l'Abbé le refusa tout court, ne voulant se priver du secours & assistance qu'il esperoit avoir de luy en la conduite & direction de son Monastere. Tous les autres Religieux se joignirent à l'Abbé, s'opposans à la retraite du Saint; mais il les importuna tant, qu'enfin, vaincus de ses instantes suplications, ils luy donnerent congé pour un an, & non plus. Le saint Homme, ayant receu la benediction de son Abbé, prit congé de ses Confreres & sortit, avec deux compagnons, touchez aussi d'un mesme désir de vivre en solitude ; &, d'autant qu'il estoit trop connu dans tout le Comté de Cornoûaille, il entra dans le Vennetois, où, ayant rencontré un lieu fort écarté & desert, il y édifia un petit Oratoire & trois petites Cellules & s'y habitua. Il n'y eut gueres demeuré, que ses deux Confrères commencèrent à se plaindre de la sterilité de ce lieu, nommément de l'incommodité qu'ils avoient faute d'eau potable, laquelle il falloit aller querir fort loin ; saint Guen-æl les consola & exhorta d'avoir recours à Dieu en leurs nécessitez, lequel jamais ne délaisse ceux qui esperent en luy, & les mena à la Chapelle, où ayant fait Oraison, en commun, il sortit dehors, & imprima le signe de la Croix en terre, laquelle ayant frappé de son baston, elle jetta une grosse source d'eau, qui n'a cessé de couler jusques aujourd'huy.
VII. Ce saint Personnage n'acheva pas son année en la solitude ; car Dieu, se voulant servir de luy pour le salut de plusieurs, le manifesta au Comte de Vennes Guerec, lequel, chassant, un jour, en ces quartiers, leva une biche, qui, fuyant la meutte des chiens, entra dans la solitude de saint Guen-æl & se coucha sous son Aumusse ; les chiens suivirent leur beste, mais, arrivez au lieu, ils n'oserent approcher vingt pas prés du Saint. Le Venneur, estonné de cela, en donna avis au Comte & à sa compagnie, qui s'y rendit incontinent & trouva la biche couchée sous l' Aumusse du Saint. Guerec, voyant cela, le salua fort affectueusement & l'emmena avec luy à Vennes, & l'y retint, quelque temps, pour jouir plus à plein de ses bonnes instructions & avis salutaires ; puis, ayant pris congé du Comte, il s'en retourna en son Hermitage, où ayant passé 9 mois, il fut mandé de son Abbé de revenir au Monastere ; ce qu'il fit, comme enfant d'obédience, encore qu'il regretast sa chere solitude.
VIII. Il seroit difficile d'exprimer avec quelle joye & contentement il fut receu de ses Religieux; mais cette allégresse finit bientost ; car ayant passé 4 années avec eux, estant déjà vieil & cassé, rompu de penitences & austeritez, Dieu le voulant recompenser de ses travaux, il tomba malade, &, en peu de jours, il fut réduit à l'extrémité ; il se confessa généralement à son Abbé, receut le S. Sacrement en Viatique, puis demanda l’Extrême-Onction, qu'il receut le mesme jour, le reste duquel il passa en méditation, ayant les yeux arrestez sur un Crucifix qu'il tenoit en sa main ; enfin, ayant agonizé toute la nuit, sur le point du troisième jour de novembre, l’an 467 & de son âge le 70e, il rendit son Ame à Dieu. Son Corps fut incontinent lavé & revestu de ses Ornemens Abbatiaux & porté en l'Eglise, où il fut reveré & baisé d'une multitude de peuple, qui, de toutes parts, s'y rendit pour honorer ses obseques. Le Roy de Bretagne, qui, avec sa cour, estoit à Kempercorentin, distant de six lieues de Land-Tevenec, envoya dire à l'Abbé qu'il ne se hastast d'ensevelir le saint Corps ; cela fit qu'on le garda trois jours dans l'Eglise, où il se conserva frais & entier, répandant une merveilleuse odeur. Le troisieme jour, le Roy arriva, accompagné du Prince son fils aisné, des Princes, Comtes, Vicomtes & de grand nombre de Seigneurs, qui tous donnerent l'eau bénite au saint Corps & assisterent à son enterrement.
IX. Il fut ensevely dans une petite Chapelle, hors l'Eglise Abbatiale, laquelle a esté tenue en si grande veneration, que personne n'y osoit entrer, crainte de fouler aux pieds ce saint Corps, où il demeura jusqu'à l’an 857, que Neomene, Roy de la Bretagne Armorique, estant de retour des Guerres de France, alla en Pelerinage à Land-Tevenec visiter les Sepulchres des SS. Wennolé & Guen-æl, & fit reédifier l'Eglise Abbatiale & y transférer les Os des saints Wennolé & Guen-æl, lesquels il fit enchasser en Chasses d'argent doré ; neanmoins, en l'Eglise Cathédrale de Vennes, on montre le Sepulchre de ce Saint, comme on sort du chœur, du costé de l'Epistre. Enfin, l'an 878, les Normands & Danois, ayans mis pied à terre en Bretagne, les Moynes de Land-Tevenec abandonnerent leur Monastere & se retirerent en France, pour fuir la rage et cruauté de ces Barbares, qui faisoient un cruel traitement aux Reliques des Saints, aux Monasteres & aux Gens d'Eglise, emporterent le Corps de S. Guen-æl à Paris, où ils furent receus fort benignement de Theudon, Prevost de Paris, qui leur donna une maison qui luy appartenoit, avec ses terres et metairies, situez en la Paroisse de Courcoronné, prés Corbeil, où ils édifierent une Chapelle & y mirent les Reliques du Saint. Mais les Saxons & Normands continuans leurs ravages en France, crainte que ce précieux thresor ne tombast en leurs mains sacrileges, il fut porté à Corbeil, par le commandement du très illustre Comte Edmont, lequel fit faire une Procession generale, où il assista avec tout le Clergé, non seulement de ladite Ville de Corbeil, mais encore des Paroisses & bourgades circonvoisines, qui se rendirent à Courcoronné, où, ayans receu reveremment les saintes Reliques, ils les apporterent au fauxbourg S. Jacques de Corbeil, où elles furent mises en une petite Chapelle, que le susdit Comte avoit fait bastir, du côté de la Brie. Mais, depuis, en l’an 1007, Bouchard, Comte de Corbeil, à la sollicitation de son fils Legauld (qui depuis fut Evesque de Paris), fit bastir une belle Eglise en l'honneur du Saint, où il transfera ses Reliques, & s'appelle, encore à present, de son nom, saint Guenault ; c'a esté, à son commencement, une Abbaye Collegiale, ayant un Abbé & quatre Chanoines; depuis, le Roy Louis le Gros, venant à la couronne, l'incorpora à l'Abbaye de S. Victor lez Paris, & est un Prieuré dépendant d'icelle. Ce néanmoins, le catalogue des Reliques qui sont en l'Eglise Cathédrale de Vennes porte que le Corps de ce Saint y est ; je croyrois qu'il y en a partie à Vennes & autre partie à Corbeil.
Cette Vie a esté par nous recueillie des anciens Breviaires des Eveschez de Léon, Cornouaille et Vennes, qui en font Office et en ont la Legende en neuf leçons; des vieux Legendaires manuscrits de Cornouaille, Vennes et Land-Tevenec ; des MSS. de la vie de S. Wennolé ; Pierre de la Barre en parle en ses Antiquitez de la Ville de Paris, et le Père Le Bon, Chanoine Regulier de l’Abbaye de S. Victor de Paris, desquels l'a pris T. Friard, qui l’a ajoustée à la Legende de Ribadeneira, et le Pere Jacques de Breul, en son Theastre des Antiquitez de la Ville et Diocese de Paris, parlant dudit Prieuré de saint Guenault de Corbeil, met un abregé de sa vie.
Commentaires
L'étymologie "Gwenn ael" (ange blanc) avancée par Albert Le Grand et qu'on entend communément partout est fausse. La forme originelle en vieux breton d'écrit "Uuinhael. La forme moderne devrait donc s'écrire Gwenhael, qui se compose de gwenn (blanc, qui a ici le sens de sacré, immaculé) et de hael (en vieux breton, noble, généreux) .
êtes-vous si sur qu'Albert Le Grand ne connaissait pas le breton, pour lui faire ainsi la leçon ?
Vive la grande tradition multiséculaire des saints Bretons !!
" - L’occidental désabusé pourrait renouer avec la religion si elle ne s’était entichée de changements produisant elle-même les antéchrists (I Jean II 19) qui, sous prétexte d’adaptation à la modernité, érigent le relativisme en doctrine absolue - " ......... Ab.C.
"Ce furent les Pere & Mere de nostre Saint, qui leur nasquit l'an de grâce 306, sous le Pontificat du Pape S. Sirice"
Lire 396, St Sirice est décédé en 399
Merci. Evidemment, quand on voit les dates suivantes. Mais moi et les chiffres...
Je ne prétend pas faire la leçon au dominicain Albert Le Grand, Etant né à Morlaix en 1599, il avait assurément le breton comme première langue. Cependant, le fait de parler une langue n'implique pas de connaître ses formes anciennes et son étymologie, Sinon tous les francophones seraient de facto spécialistes de l'ancien français. Par ailleurs, le fait qu'il ait traduit Gwenael par "ange blanc" prouve bien qu'il connaissait le breton selon la forme qui était parlée à son époque en traduisant mot à mot, sans voir l'homophonie entre le terme Ael, ange) et le terme Hael (généreux) qui avait disparu de la langue depuis longtemps, Tous les linguistes du breton depuis la fin du XIXème siècle s'accordent à dire que cette étymologie est fautive.
Il y a tout de même un millénaire entre Albert Le Grand et l'époque de saint Gwenhael. L'étymologie n'est par ailleurs devenue une discipline sérieuse qu'à partir du milieu du XIXème siècle. On peut auparavant trouver en breton une multitude d'étymologies fantaisistes qui vont jusqu'à apparenter le breton à l'hébreu ou le considérer comme l'authentique langage des Troyens de l'Illiade, !
Albert Le Grand est aussi confus sur le plan de la chronologie et prend parfois pour argent comptant des sources douteuses ou légendaires. - On ne peut certes pas l'en blâmer, car les sciences historiques en sont encore à leur balbutiement, et se sont d'ailleurs les bénédictins mauristes qui les initieront à la même époque. Par exemple, il fait naître notre saint en 396 et mourir en 467, ce qui ne tient pas debout. Les sources prouvent qu'il a vécu au VIème siècle et la date de sa mort est supposée en 590.
Donc pour vous la Bible est pleine d'étymologies "fautives" (sans parler de sa chronologie confuse et de ses sources douteuses ou légendaires...).
Vous êtes ainsi en accord avec tous les modernes et ces pauvres spécialistes qui encombrent leurs traductions de notes sur les "fausses" étymologies sans voir qu'ils sont dans un flagrant anachronisme et que jusqu'à notre époque de ténèbres l'étymologie sacrée était destinée à éclairer un nom et lui donner un sens spirituel.
Je suppose que vous vous esclaffez quand on vous dit pourquoi saint Vincent est en France le patron des vignerons. Dommage...
Le prénom véritable d'Albert Le Grand était Jean (Yann ou Yehann en breton). Il choisit Albert comme nom de profession religieuse dans l'ordre des frères prêcheurs en hommage au grand docteur de l'Eglise dont le procès de béatification était alors en cours. Son véritable patronyme devait être la forme bretonne Ar Braz, francisée en Le Grand, Au XVIème siècle, commence en effet une prmière vague de francisation des patronymes sur les registres, même si dans la vie quotidienne on continue d'utiliser la forme bretonne. Sa date de naissance est incertaine : on trouve soit 1597, soit 1599.
il pouvait aussi s'appeler Le Meur (j'adopte la forme francisée pour ne pas risquer de faire des erreurs de mutation : braz en a-t-il une après l'article ?)
il vaut donc mieux s'en tenir à la forme qu'il utilise
il vivait à une époque où l'existence des deux langues n'imposait pas forcément le français : un Jean Dubois établi à Saint Renan y est devenu Le Coat, patronyme que portent toujours ses descendants actuels énarques ou généraux, et j'ai trouvé dans un même acte , dans un registre paroissial, un homme appelé indifféremment Le Noir, Le Duff, Le Du, Ar Duff et Ar Du (les missionnaires jésuites n'avaient pas encore imposé au breton une orthographe phonétique)
Ar Veur, Ar Vras.
Sauf Dan Ar Braz (Daniel Le Bras)...
On ne peut mettre sur le même plan l'exégèse biblique et l'hagiographie net l'onomastique bretonne, car cette dernière n'est pas inspirée. La plupart des historiens et hagiographes ne cherchent pas à tout renvoyer dans le "mythe". Les appréciations sur la vie des saints d'Albert le grand ne viennent pas de moi, mais du bénédictin rennais Dom Lobineau, moine bénédictin rennais qui écrit un siècle plus tard après Albert le Grand un nouveau livre "Les vies des saints de Bretagne" en 1725. Il est vrai qu'il juge parfois avec sévérité son illustre prédécesseur dominicain tout en reconnaissant la valeur de son travail.
On ne peut en tout cas le taxer de modernisme même si les historiens bretons du XIXème siècle regretteront son "rationalisme" et son manque de poésie. Il eut en tout cas le mérite de rétablir une chronologie cohérente et crédible ; il est en cela le père de l'historiographie moderne bretonne.
A vrai dire, Albert le grand était plus dans l'optique médiévale de compiler des sources ( et grâces lui soient rendues, il a recopié bien des manuscrits recopiés par lui qui ont disparu à la révolution. )
Dom Lobineau en bon mauriste cherchait à confronter entre elles ces sources, ce qui lui valut la vindicte de la puissante maison de Rohan. Le cardinal Armand de Rohan, prince-évêque de Strasbourg s'acharna spécialement contre lui, car il avait renvoyé le roi Conan Mériadec dans le domaine de la mythologie. Or la famille de Rohan affirmait descendre en droit ligne de Conan Mériadec, ce qui lui assurait un statut princier privilégié.
on peut en plus souligner que ce statut privilégié des Rohan était déjà usurpé à l'époque : les Rohan en question étaient seulement des Chabot, bonne famille poitevine dont tout le monde savait qu'elle ne pouvait pas descendre de Conan Mériadec, même si celui-ci avait existé
quant aux vrais Rohan (il doit en subsister en Autriche) l'érudition moderne en fait les descendants d'un riche marchand franc nommé Josselin (qui n'est pas un nom breton) établi à Rennes dont il aurait acheté la vicomté avant d'épouser l'héritière du Porhoët
Je ne méprise pas les étymologies tardives empreintes de jeux de mots concernant les saints.
Bien au contraire, les Bretons (comme beaucoup de peuples par ailleurs) sont très friands de ces délicieux calembours qui doivent faire sourire avec bienveillance nos saints du ciel (qui ne manquent pas au passage de nous accorder leurs grâces.
Par exemple, saint Kornéli - le pape Corneille- est le protecteur des bêtes à cornes, même s'il n'a jamais été éleveur bovin. , L'apôtre saint André est invoqué contre la coqueluche des jeunes enfants. ( en breton : An dreù) Et saint Gurluoes, refondateur de l'abbaye de Quimperlé, au XIème siècle, sous sa forme populaire Urleù, nous offre son intercession contre la goutte (en breton vannetais : en urleù)
Il n'y a pas de coupure mais plutôt complémentarité entre la tradition populaire et l'onomastique des noms de saints.
Nos traditions populaires qui ont nourri la dévotion de nos pères pendant des siècles ne s'opposent pas
à la linguistique bretonne qui nous offre par l'étymologie des noms anciens à travers les gloses des manuscrits en vieux-breton le sens premiers des nos nos noms de nos saints.