Ce jour de férie on peut dire la messe de dimanche dernier, ce qui tombe bien puisque cette messe a été empêchée par la fête des apôtres Pierre et Paul. Dans l’évangile il y a deux paraboles, dont celle de la drachme égarée. Voici le commentaire qu’en fait saint Grégoire le Grand.
Le texte poursuit : «Ou bien, quelle femme, si elle a dix drachmes et vient à en perdre une, n’allume une lampe, ne met sa maison sens dessus dessous et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle trouve la drachme perdue?» C’est une seule et même personne que symbolisent le pasteur [le berger qui a perdu une brebis] et la femme, car c’est une seule et même personne qui est Dieu et Sagesse de Dieu. Et comme les drachmes sont frappées d’une image, la femme a perdu sa drachme lorsque l’homme, qui avait été créé à l’image de Dieu, s’est, en péchant, écarté de la ressemblance qu’il avait avec son Créateur. Mais la femme a allumé sa lampe, parce que la Sagesse de Dieu s’est manifestée dans une nature humaine. La lampe est en effet une lumière dans un vase de terre cuite; or qu’est-ce qu’une lumière dans un vase de terre cuite, sinon la divinité dans la chair? C’est de ce vase de terre cuite, c’est-à-dire de son corps, que la Sagesse en personne affirme : «Ma force s’est desséchée comme un vase de terre cuite.» (Ps 22, 16). Puisque la terre cuite se durcit dans le feu, sa force s’est desséchée comme un vase de terre cuite : la chair qu’il avait assumée a été endurcie par les tourments de sa Passion en vue de la gloire de sa Résurrection.
La femme, ayant allumé sa lampe, a mis sa maison sens dessus dessous : dès que la divinité de la Sagesse a brillé à travers sa chair, toute notre conscience en a été secouée. Car la maison est mise sens dessus dessous quand la conscience de l’homme se trouble à la vue de ses fautes. L’expression «mettre sens dessus dessous» ne diffère pas beaucoup du verbe «nettoyer» qu’on lit à sa place en d’autres manuscrits*; en effet, un esprit dévoyé ne peut être nettoyé de ses vices invétérés que si l’on commence par le mettre sens dessus dessous par la crainte. C’est donc une fois qu’elle a mis la maison sens dessus dessous que la femme retrouve la drachme, puisque c’est par l’ébranlement profond de sa conscience que l’homme est rétabli à la ressemblance de son Créateur.
«Et quand elle l’a trouvée, elle assemble ses amies et ses voisines, et leur dit : “Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, la drachme que j’avais perdue!”›» Qui sont amies et voisines, sinon les puissances du Ciel dont j’ai parlé plus haut? Elles sont d’autant plus près de la Sagesse céleste que la grâce d’une contemplation continuelle les en approche davantage. Ne manquons pas ici de nous demander pourquoi cette femme qui figure la Sagesse de Dieu nous est montrée en possession de dix drachmes, et pourquoi elle en perd une et la retrouve après l’avoir cherchée. Le Seigneur a créé la nature des anges et des hommes pour le connaître, et du fait qu’il les a voulus destinés à l’éternité, il les a assurément créés à sa ressemblance. Ainsi, cette femme avait dix drachmes, parce qu’il y a neuf chœurs des anges, mais qu’afin de compléter le nombre des élus, l’homme fut créé en guise de dixième, et qu’après sa faute, celui-ci n’a pas péri loin de son Créateur : la Sagesse éternelle, qui brillait en la chair par ses miracles, l’a sauvé au moyen de la lumière [de sa divinité] allumée en un vase de terre cuite.
Saint Grégoire le Grand, homélie 34 sur les Evangiles.
* Le texte de saint Grégoire a « evertit » : mettre sens dessus dessous. C’est le mot que l’on trouve dans presque tous les manuscrits latins. Le pape docteur connaît toutefois aussi la leçon « everrit » : balayer, nettoyer. C’est celle qui sera retenue par la Vulgate sixto-clémentine, et cela montre l’excellence du travail réalisé par les éditeurs de la Vulgate. En effet, dans le texte grec on a « saroo » : balayer, nettoyer. « Evertit » est donc une faute : on voit tout de suite qu’un « r » a été pris pour un « t ». Ce qui ne change rien, évidemment, à la pertinence du commentaire de saint Grégoire.