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Saint Louis de Gonzague

On conte que saint Louis de Gonzague étant novice, pendant une récréation ses camarades, ou ses compagnons, — je ne sais pas comme il faut dire, — s'amusèrent, — mettons, pour me plaire, qu'ils jouaient à la balle au chasseur, — s'amusèrent tout à coup à se poser cette question, qui doit faire le fond d'une plaisanterie traditionnelle de séminaire. Ils se posèrent donc tout à coup cette question, qui fait, si l'on veut, un jeu de société, mais qui est, quand même on ne le voudrait pas, une interrogation formidable. Ils se dirent, entre eux, tout à coup, ils se demandèrent mutuellement : « Si nous apprenions tout d'un coup, en ce moment même, que le jugement dernier aura lieu dans vingt-cinq minutes, il est onze heures dix-sept, l'horloge est là, qu'est-ce que vous feriez ? >> Ils ne parlaient peut-être point aussi bref, et sans doute ils parlaient un peu plus comme des moines et comme des catholiques, mais enfin le sens était le même. Alors les uns imaginaient des exercices, les uns imaginaient des prières, les uns imaginaient des macérations, tous couraient au tribunal de la pénitence, les uns se recommandaient à notre Dame, et les uns en outre se recommandaient à leur saint patron. Louis de Gonzague dit : Je continuerais à jouer à la balle au chasseur.

Ne me demandez pas si cette histoire est authentique. Il me suffit qu'elle soit une des histoires les plus admirables du monde. Je serais bien embarrassé de vous donner la référence. On peut donner des références pour du Hugo. Pour les saints c'est beaucoup plus difficile. C'est une histoire qui est vulgaire chez les catholiques. Elle court les catéchismes. Parlez-en à un catholique. Son premier mouvement sera de vous rire au nez. Parbleu, si je la connais, votre histoire. D'ailleurs il n'en mesure point l'immense amplitude, comme le paysan ne sent pas l'odeur de la terre, parce qu'il y est habitué. Son deuxième mouvement, surtout s'il est un peu un catholique savant, comme il y en a tant aujourd'hui, sera d'avoir un peu honte et de vous dire, négligemment et sur un certain ton qu'ils ont pris afin d'imiter la Sorbonne : D'ailleurs c'est une anecdote qui est attribuée à plusieurs autres saints. Les catholiques sont à battre avec un grand bâton, quand ils se mettent à parler sur un certain ton scientifique de leurs admirables légendes, afin de se mettre, de se hisser, à la hauteur de deux philologues traitant de trois versions d'un même épisode homérique. Son troisième mouvement est de courir chercher dans les textes et de vous rapporter enfin qu'il n'y a trouvé aucune trace de cette légende.

Ce troisième mouvement est le plus décidément le mauvais.

Je ne suis pas comme lui, moi. J'affirme que cette histoire est authentique, et cela me suffit, parce qu'elle est une des histoires les plus admirables que je connaisse. Moi aussi je pourrais vous dire qu'elle me paraît dépasser de beaucoup ce petit saint assez niais qui me paraît avoir été un des plus fréquents exemplaires, un des plus communs échantillons du petit saint jésuite. Mais c'est l'avantage des saints sur nous autres hommes qu'ils ont des paroles qui les dépassent infiniment, qui viennent d'ailleurs, qui ne viennent point d'eux, qui viennent de leur sainteté, non point d'eux-mêmes.

Il ne s'agit donc point de savoir si cette parole le dépasse ou même si elle est de lui ou même si elle est de quelqu'un et si elle a jamais été prononcée. Comme elle est, c'est une des histoires les plus admirables, un des schèmes les plus exacts, un des symboles vraiment les plus rares et les plus pleins de sens, une formule incomparable pour tout ce qui tient à la règle de la vie et à l'administration du devoir.

Charles Péguy

Commentaires

  • J'avoue ne rien comprendre à votre histoire, et je ne dois pas être une sainte: pour moi, je serais folle de joie (de voir tout le cirque actuel terminé, et bientôt le Règne de Dieu, et remplie de crainte: je suis sûre que je ne ferais que prier la Miséricorde à genou pour le Salut des âmes;
    En tout cas, je suis d'accord avec vous sur le grand intérêt d'une telle histoire, pas besoin d'aller vérifier sa véracité: mieux vaut approfondir sa foi! Et se connaître...

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