La deuxième partie de Gaudium et spes est intitulée De quelques problèmes plus urgents. Non seulement plus urgents, mais « qui affectent au plus haut point le genre humain ». Ils sont ainsi énumérés : « le mariage et la famille, la culture, la vie économico-sociale, la vie politique, la solidarité des peuples et la paix ».
Bien qu’ils « affectent au plus haut point le genre humain », on se souvient que selon la note ajoutée au titre même de la constitution, l’examen de ces problèmes comporte « des éléments contingents » et l’on doit tenir compte « des circonstances mouvantes qui, par nature, sont inséparables des thèmes développés ».
C’est en ayant à l’esprit cette mise en garde qu’on commence à lire la deuxième partie. Or, surprise, cela commence par un long exposé sur le mariage et la famille, dont l’urgence apparaît encore beaucoup plus manifeste aujourd’hui qu’à l’époque, mais où l’on cherche en vain des éléments contingents dépendant de circonstances mouvantes…
C’est un très bon exposé, nourri de l’encyclique Casti connubii de Pie XI qui était alors la référence en la matière (il faudrait aujourd’hui y ajouter quelques textes de Jean-Paul II), et de l’enseignement de saint Paul (qui relie directement l’enseignement sur la famille à l’enseignement de Lumen gentium sur l’Eglise). La revendication d’un prétendu « mariage » homosexuel, qui n’est pas évoquée (puisqu’elle n’existait pas) apparaît radicalement impossible, ne serait-ce que par l’atmosphère de fécondité, naturelle et spirituelle, qui baigne tout l’exposé.
Mais le texte n’échappe pas à l’« optimisme naïf du concile ». Cela commence en effet par l’affirmation que les chrétiens « se réjouissent sincèrement des soutiens divers qui font grandir aujourd’hui parmi les hommes l’estime de cette communauté d’amour et le respect de la vie, et qui aident les époux et les parents dans leur éminente mission ». Ah bon. Il fallait vraiment que les évêques chaussassent des lunettes très roses pour affirmer cela en 1965… Mais il faut croire que les évêques français en étaient vraiment persuadés (par la magie des allocations familiales, sans doute)… Et c’est pourquoi ils ne virent pas passer la loi sur la contraception (deux ans après), puis la loi sur le divorce par consentement mutuel, puis la loi sur l’avortement…
Cela dit, juste après, selon l’étonnant balancement conciliaire, on se plaint que « l’éclat » du mariage soit « terni par la polygamie, l’épidémie du divorce, l’amour soi-disant libre, ou d’autres déformations ». Mais le même paragraphe se conclut sur une phrase peu claire mais qui est censée montrer « la vigueur et la solidité de l’institution matrimoniale et familiale »…
C’est dans ce texte que se trouve l’expression devenue célèbre qualifiant l’avortement de « crime abominable ». Le texte dit exactement : « L’avortement et l’infanticide sont des crimes abominables. » Cette formulation a quelque chose de prophétique, car on voit aujourd’hui chez nous une dépénalisation de fait de l’infanticide, sous le nom de « néonaticide », et sous le prétexte d’un prétendu « déni de grossesse » (on en est même au « déni d’accouchement »).
On remarquera que le mot latin traduit par « abominable » est « nefanda ». Ce mot veut dire en effet « abominable », mais avec une nuance religieuse, d’impiété, de blasphème. Avorter, c’est se dresser contre Dieu, auteur de la vie.
En ce qui concerne la contraception, Gaudium et spes est beaucoup moins clair… Le texte dit qu’il « n’est pas permis aux enfants de l’Église d’emprunter des voies que le Magistère, dans l’explication de la loi divine, désapprouve ».
C’est-à-dire ? Eh bien on verra plus tard… Le texte renvoie à une note qui dit ceci : « Par ordre du Souverain Pontife, certaines questions qui supposent d’autres recherches plus approfondies ont été confiées à une Commission pour les problèmes de la population, de la famille et de la natalité pour que, son rôle achevé, le Pape puisse se prononcer. L’enseignement du Magistère demeurant ainsi ce qu’il est, le Concile n’entend pas proposer immédiatement de solutions concrètes. »
Cette note laisse paraître sans fard la bagarre qui fait rage au sein de la curie et du collège épiscopal sur ce sujet, et qui se poursuivra jusqu’à ce que Paul VI tranche en publiant l’encyclique Humanæ vitæ trois ans plus tard. Encyclique qui sera elle-même reçue avec des sentiments divers… ou pas reçue du tout, voire rejetée par de nombreux théologiens. Alors qu’on voit aujourd’hui à quel point elle était prophétique : il suffit de constater que les conséquences de la contraception chimique annoncées par le pape sont sous nos yeux.
Ainsi donc, Gaudium et spes, qui avait son mot à dire sur tous les aspects du monde moderne, et particulièrement ceux qui « affectent au plus haut point le genre humain », n’avait rien à dire sur « la pilule », qui était pourtant un sujet majeur dans le monde développé…
Commentaires
Je concède que ce document censé s'adresser à tous les hommes n'en enseigne pas moins
« [qu'il] n’est pas permis aux enfants de l’Église d’emprunter des voies que le Magistère, dans l’explication de la loi divine, désapprouve »
Ce qui semble autoriser ce genre de comportement à ceux qui ne sont pas « enfants de l'Eglise ». Bien sûr ce n'est pas dit comme cela et il faut un jugement a contrario pour arriver à cette conclusion. Mais il est gênant qu'il soit si facile à faire ce jugement à partir du texte qui, cependant, concédons-le, ne dit pas cela positivement.
« L’enseignement du Magistère demeurant ainsi ce qu’il est, le Concile n’entend pas proposer immédiatement de solutions concrètes »
Les évêques ont pris prétexte de ce texte, qui semblait dire que l'Eglise ne s'était pas prononcée, pour sortir leur fameuse théorie sur le "conflit de devoirs" entraînant la France dans une effroyable décadence et causant des millions d'apostasies. Ce que les francs-maçons et les communistes n'avaient pu faire, les évêques l'ont fait. Mais, selon moi, ce texte ne concernait que "la population, la famille et la natalité". Ce qui ne voulait pas dire la question de la contraception était pendante.
Quoiqu'il en soit, cette curieuse façon de faire, dont on peut se demande si elle n'était pas volontaire, ridiculisait les Pères conciliaires. Déclarer que l'on a réuni un Concile pour dire qu'il n'a finalement rien à dire parce que le Pape va consulter une Commission, c'est ridiculiser les évêques.
Mais à mon avis cela pose plutôt le problème du pape Paul VI, pape fanatique et violent, qui a laissé dire pendant des années aux évêques que les femmes pouvaient avaler du poison pour se comporter en agent de plaisir… Pape qui s'est immiscé sans titre dans la façon de prier des fidèles, qui s'est immiscé sans titre dans la culture architecturale, qui a implicitement condamné ses prédécesseurs etc. C'était un pape totalitaire et violent, injuste avec les fidèles, violant leurs droits fondamentaux les yeux fixés sur la modernisation et ne daignant rien voir.
Je note, entre autre, ce membre de phrase :
« De même en effet que Dieu prit autrefois l’initiative d’une alliance d’amour et de fidélité avec son peuple [107], ainsi, maintenant, le Sauveur des hommes, Époux de l’Église [108], vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement de mariage. Il continue de demeurer avec eux pour que les époux, par leur don mutuel, puissent s’aimer dans une fidélité perpétuelle, comme lui-même a aimé l’Église et s’est livré pour elle [109]. »
Mais à qui donc s'adresse ce texte ? S'il s'adresse au genre humain, pourquoi alors ne parler que des "époux chrétiens" ? Les autres époux, l'Eglise ne s'en soucie pas ? Mais justement au début du texte on dit que l'Eglise est solidaire de l'humanité entière. C'est incohérent. L'ensemble du texte ne distingue pas suffisamment ce que le Concile a à dire aux chrétiens et ce qu'il a à dire à tous. Il aurait été intéressant d'voir la théologie du mariage des acatholiques plus clairement dégagée. Voire, il aurait été cohérent de ne pas traiter du mariage catholique, mais de ne traiter que du mariage universel. Le mariage universel n'est pas traité en tant que tel, le lecteur qui s'interesse à la question est astreint à un tri qui n'est pas évident.
Cependant, je pense que les parties intéressantes sont à sauver, car les parties défectueuses ne sont pas centrales. En tous cas, il faut cesser de dire que ce texte est kantien, ou moderniste ou qu'il n'a pas condamné le communisme. Cela déconsidère des critiques fondées.
Enfin, sur la question de la culture ce texte, à mon sens, est un texte de référence. Il apporte des nouveautés instructives et édifiantes. Gaudium et spes est un véritable guide sur cette question.