Si l’on demande au catholique pratiquant moyen d’une paroisse ordinaire ce que le concile Vatican II a dit de la liturgie, il répond immanquablement que le concile a permis de célébrer face au peuple dans la langue du pays.
Or il n’y a strictement rien dans la constitution sur la sainte liturgie, Sacrosanctum concilium, qui suggère que la messe puisse ou doive être célébrée à l’envers, et le texte rappelle que la langue de la liturgie latine est le latin…
C’est l’exemple type du fossé qu’il y a entre les textes du concile et le soi-disant « esprit du concile ».
Il revient au concile, dit Sacrosanctum concilium, de « veiller aussi à la restauration et au progrès de la liturgie ».
C’est du moins ce que dit la traduction française officielle. Mais les mots « restauration » et « progrès » traduisent des verbes latins, précisément des adjectifs verbaux construits sur les verbes instaurare et fovere. Instaurare veut dire assurément restaurer. Mais fovere ne veut pas dire progresser ou faire progresser. Du moins dans le sens que la liturgie devrait faire des progrès. Le seul « progrès » dont il peut être question ici est le progrès de la connaissance et de la pratique de la liturgie chez les fidèles. Car fovere veut dire favoriser, soutenir, encourager, promouvoir : et les Anglais ont très bien traduit par « promotion ».
Il est clair que les traducteurs français (il s’agit du Centre de pastorale liturgique…) n’ont pas mis « progrès de la liturgie » par mégarde… Et ce mot de « progrès » avait pour but en outre de faire oublier celui qui précédait : « restauration ». Car restaurer, ce n’est pas un terme de « progrès » au sens progressiste.
Ainsi, le but clairement affiché (en latin et dans les traductions fidèles) était de restaurer et promouvoir la liturgie. Pas de la détruire pour en fabriquer une autre. Pas même de la faire « progresser »…
Les « principes généraux pour la restauration et le progrès de la liturgie » (et l’on remet ici « progrès »…) commencent par un bon exposé sur ce qu’est la liturgie : c’est la célébration de l’œuvre du salut, du mystère pascal par lequel le Christ a détruit la mort et restauré la vie ; et l’on rappelle que c’est du côté du Christ endormi sur la Croix qu’est né « l’admirable sacrement de l’Eglise tout entière » : citation d’une oraison du samedi saint disparue avec la réforme de Pie XII – petit rappel du thème l’Eglise comme sacrement (1). Le Christ est toujours présent dans la liturgie, il est spécialement présent dans la personne du prêtre qui offre le Saint Sacrifice, et il est éminemment présent sous les espèces eucharistiques. Quand on baptise, c’est lui qui baptise, il est présent aussi dans sa parole proclamée à l’Eglise, et dans l’Assemblée des fidèles qui prient. « C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres. » Et par la liturgie terrestre nous participons à la liturgie céleste.
L’Eglise a d’autres activités que la liturgie, mais « la liturgie est le sommet vers lequel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu. » (virtus : il aurait fallu traduire : sa force).
C’est ici qu’apparaît pour la première fois un mot qui va ensuite être martelé 14 autres fois : « active » (actuosa) : pour que la liturgie soit pleinement efficace, les fidèles doivent y participer « de façon consciente, active et fructueuse ».
On croit souvent que cette « participation active » est une caractéristique majeure de la liturgie selon Vatican II. En réalité, cette expression vient de… saint Pie X, et c’est dans le préambule de son motu proprio sur la… restauration et la promotion de la musique sacrée :
« Notre plus vif désir étant, en effet, que le véritable esprit chrétien refleurisse de toute façon et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir avant tout à la sainteté et à la dignité du temple où les fidèles se réunissent précisément pour puiser cet esprit à sa source première et indispensable : la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Église. »
Vatican II a raison autant que saint Pie X de demander la participation active des fidèles à la liturgie de l’Eglise. Il suffit de distinguer clairement activité et activisme (ce qui n’est plus très clair quand on martèle 15 fois le mot…). Juste après avoir pour la première fois évoqué cette participation active, Sacrosanctum concilium en donne un exemple en évoquant les « pieux exercices » du peuple chrétien et les « exercices sacrés » des Eglises particulières. Ces exercices sont très bons en eux-mêmes, mais ils « doivent être réglés en tenant compte des temps liturgiques et de façon à s’harmoniser avec la liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure ». Et certes il convenait sur ce point de restaurer la liturgie, encore que c’était largement fait (notamment grâce à saint Pie X et au mouvement liturgique) : la messe n’est pas le fait d’un prêtre qui marmonne au loin pendant que les fidèles disent leur chapelet, chantent des cantiques, écoutent un concert, ou récitent des prières privées…
La participation active (qui est essentiellement intérieure) est tout simplement en rapport avec l’action qui se déroule à l’autel. Si j’étais à Jérusalem face au Christ en croix et devant le tombeau vide de la Résurrection, je ne réciterais pas le chapelet, je serais en adoration devant le Mystère qui se déroule devant moi. Eh bien, la messe, c’est très exactement cela.
Pour que les fidèles puissent participer activement à la liturgie, poursuit le texte, il faut que les pasteurs soient « profondément imprégnés de l’esprit et de la force de la liturgie ». C’est pourquoi il faut former des professeurs de liturgie, et il faut que la liturgie soit une matière principale dans les séminaires, etc. Je n’ai pas le goût de détailler cette triste page, car on sait que cette formation a servi exclusivement, en tout cas chez nous, à détruire la liturgie de fond en comble.
(1) Et cette oraison correspond bien au dessein du document conciliaire :
Deus, incommutábilis virtus et lumen ætérnum: réspice propítius ad totíus Ecclésiæ tuæ mirábile sacraméntum, et opus salútis humánæ, perpétuæ dispositiónis efféctu, tranquíllius operáre; totúsque mundus experiátur et vídeat, dejécta erigi, inveteráta renovári, et per ipsum redire ómnia in intégrum, a quo sumpsére princípium: Dóminum nostrum Jesum Christum, Fílium tuum…
Ô Dieu, force immuable et lumière éternelle, regardez favorablement l’admirable sacrement de toute votre Église, et opérez dans la paix l’œuvre décrétée éternellement du salut de l’homme ; en sorte que le monde entier expérimente et voie relevé ce qui était abattu, renouvelé ce qui était vieilli, et que tout soit rétabli dans son intégrité première par celui qui est le commencement de tout, Notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils…