A priori, la seconde constitution dogmatique, Dei Verbum, laisse perplexe. Car, à vrai dire, on n’y apprend rien. Même si certains rappels sont manifestement et précisément opportuns, quiconque a une culture catholique de base n’y trouve que des évidences.
Pourtant ce texte était nécessaire, car lui aussi met fin à une dérive, et à une grave dérive. Mais c’est moins voyant que pour Lumen gentium.
Avant Lumen gentium, il y avait eu assurément un retour à une théologie de l’Eglise qui prenne en compte le mystère de l’Eglise. Il suffit de penser à l’encyclique Mystici corporis de Pie XII, qui est du reste cité douze fois dans Lumen gentium. Mais le catéchisme qu’on apprenait aux enfants continuait sur la lancée de celui de Trente et surtout de saint Pie X, de nous présenter l’Eglise comme une société hiérarchique gouvernée par le pape et les évêques qui obéissent au pape. Dans cette configuration, Lumen gentium apparaît donc comme une « nouveauté ». En revanche, Dei Verbum, qui souligne l’importance de la connaissance de la Sainte Ecriture, paraît enfoncer une porte ouverte, parce que la situation à laquelle le texte met fin de façon magistérielle était déjà du passé depuis un bon siècle. Il n’en demeure pas moins qu’il était important qu’un texte du magistère extraordinaire corrige le tir pour de bon, et renvoie dans l’enfer de l’Eglise, si l’on ose dire, cette si longue nuit au cours de laquelle des papes ont osé, pendant des siècles, interdire aux fidèles de lire la Sainte Ecriture, c’est-à-dire de connaître par eux-mêmes la parole de Dieu…
Car s’il est vrai que certains protestants exagèrent cette interdiction au point de colporter des faux absurdes, il est également vrai que la règle IV de l’Index du concile de Trente déclare : « Comme il ressort manifestement de l’expérience, si les saintes Bibles en langue vulgaire sont permises à tous sans discernement, il en résulte, du fait de l’imprudence humaine, plus de dommage que de profit. » Le texte poursuit qu’il faut s’en remettre au jugement de l’évêque ou de l’inquisiteur (sic), qui pourra éventuellement, après consultation du curé ou du confesseur, permettre au fidèle « la lecture des saintes Bibles traduites en langue vulgaire par des auteurs catholiques », autorisation qui devra avoir été reçue par écrit. Car « qui osera lire ou posséder ces Bibles sans cette permission ne pourra recevoir l’absolution de ses péchés avant d’avoir remis ces volumes à l’évêque du diocèse ». C’était en 1564. En 1590, puis en 1596, l’autorisation fur réservée au Saint-Siège. Autant dire qu’elle n’existait plus. Et que seuls les protestants pouvaient lire la Sainte Ecriture…
Du moins en théorie. Car l’interdiction n’empêcha pas que circulent des traductions de la Bible, réalisées par des catholiques – dont la célèbre Bible en anglais dite de Douay-Rheims (écrite à Douai et publiée à Reims). Mais il est évident qu’il y a une différence essentielle entre une incitation à lire un livre et une interdiction qu’on ne fait pas respecter… La réticence de la hiérarchie ecclésiastique demeura très longtemps, et il y a encore des traditionalistes qui auraient l’impression de devenir protestants s’ils lisaient la Sainte Ecriture… En 1757, Benoît XIV finit par donner formellement l’autorisation de lire la Bible en langue vulgaire à condition qu’elle comporte des notes donnant l’interprétation catholique de certains passages. Saint Pie X fut le premier pape à encourager ouvertement la lecture de la Bible, suivi par ses successeurs.
Et voici donc Dei Verbum, qui corrige enfin les décisions de la contre-Réforme, en rappelant le propos de saint Jérôme : « L’ignorance des Ecritures, c’est l’ignorance du Christ », et qui définit clairement les rapports entre la Tradition, l’Ecriture et le Magistère.
Dei Verbum est une « constitution dogmatique sur la révélation divine ». De même que Lumen gentium était censé suivre et compléter la constitution Pastor æternus, de même Dei Verbum s’inscrit à la suite de la constitution dogmatique Dei Filius de Vatican I sur la foi catholique, et dans une véritable continuité avec ce qui dans ce texte traitait de la Révélation.