Le premier chapitre de la constitution dogmatique sur l’Eglise est intitulé Le mystère de l’Eglise. Par rapport à Vatican I, le renversement de perspective est explicite. L’Eglise n’est pas d’abord une société, elle est d’abord un mystère. Un mystère de la foi.
Les deux premiers mots, ceux par lesquels la constitution se fera connaître, sont « Lumen gentium ». La « lumière des peuples », c’est Jésus-Christ. Commencer ainsi le texte sur l’Eglise, c’est souligner d’emblée que l’Eglise c’est Jésus-Christ (« répandu et communiqué », comme disait Bossuet qui avait gardé, malgré tout, le sens du mystère).
Et dès ce premier paragraphe apparaît une définition de l’Eglise qui, curieusement, n’est pas présentée comme telle : « L’Eglise étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain,… » La phrase est construite de telle façon qu’on a l’impression que c’est la suite qui importe. Or ce qui est important est ce qui est dit là, et du reste c’est une expression devenue célèbre. Elle mérite d’être dite en latin : « Ecclesia (est) in Christo veluti sacramentum seu signum et instrumentum intimæ cum Deo unionis totiusque generis humani unitatis ». Certains esprits étriqués ont critiqué cette attribution du mot « sacrement » à l’Eglise, au motif qu’il y a sept sacrements et qu’on ne peut pas en ajouter un autre. Mais on n’en ajoute pas un autre. L’Eglise est le canal des sept sacrements parce qu’elle est sacramentelle, parce qu’elle est « sacrement ». Au sens originel de « mystère », si l’on veut faire la distinction. Et de toute façon le texte dit « veluti » : comme, en quelque sorte. Par analogie. Mais en soulignant bien la réalité sacramentelle : l’Eglise est « signe et instrument » de l’union à Dieu. C’est dans et par l’Eglise qu’on trouve l’union à Dieu, parce qu’elle est comme le sacrement de cette union.
Voilà déjà, dès le premier paragraphe, comment un concile pastoral peut délivrer un enseignement, et un enseignement qui approfondit la doctrine.
Le deuxième paragraphe nous montre l’Eglise dans le dessein salvifique du Père dès le péché originel. L’Eglise fut « annoncée en figures dès l’origine du monde » (jam ab origine mundi præfigurata), préparée dans l’Ancienne Alliance, puis « manifestée grâce à l’effusion de l’Esprit Saint ». Au terme des siècles, elle « se consommera dans la gloire », et alors tous les justes depuis Abel jusqu’au dernier élu « se trouveront rassemblés auprès du Père dans l’Eglise universelle ».
Le troisième paragraphe évoque logiquement la mission du Fils, qui « inaugure le Royaume des cieux sur la terre » par la Rédemption. L’Eglise, qui est le « le règne de Dieu déjà mystérieusement présent », naît de son côté d’où s’écoule le sang et l’eau. Et cette œuvre de la Rédemption s’opère « toutes les fois que le sacrifice de la croix se célèbre sur l’autel ».
Suivent notamment une recension des diverses figures de l’Eglise et un développement sur l’Eglise comme corps mystique du Christ. La fin de ce premier chapitre prépare le suivant en affirmant que la société hiérarchiquement organisée qu’on appelle Eglise et le Corps mystique, c’est-à-dire l’assemblée visible et la communauté spirituelle, « constituent une seule réalité complexe, faite d’un double élément humain et divin ».
Et c’est alors que vient le fameux « subsistit in », ce qui donne, dans la mauvaise traduction française : « Cette Eglise comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Eglise catholique qu’elle se trouve (subsistit in Ecclesia catholica), gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent (inveniantur, dit ici le texte latin) hors de ses structures, éléments qui, appartenant proprement par don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique ». (1)
Le « subsistit in » a été très critiqué, parce qu’en ne disant pas simplement que l’Eglise comme société est l’Eglise catholique, on donnait une image floue de l’Eglise : le « subsistit in » est ainsi devenu l’exemple même de ce que ce concile est trop souvent flou et ambigu.
Or c’est tout le contraire. Le « subsistit in » donne une définition de l'Eglise infiniment plus précise que celles qui avaient cours jusque-là, et singulièrement de celle de Vatican I. Elle paraît « floue » parce qu'elle n'est pas simpliste et prend en compte toute la réalité, à commencer par la réalité mystique. L'unique Eglise du Christ « sub-siste » pleinement dans l'Eglise catholique romaine. Elle ne coïncide pas avec l'Eglise romaine pour des tas de raisons : les pères ont montré que l'Eglise existe depuis la création du monde (et pas l'Eglise gouvernée par le pape), on nous a toujours parlé de l'Eglise souffrante et de l'Eglise triomphante... qui ne sont pas gouvernées par le pape, tous les baptisés appartiennent d'une certaine façon à l'Eglise du Christ, particulièrement les orthodoxes qui communient au Corps et au Sang du Christ, etc. comme le dit le texte, on trouve des éléments de sanctification et de vérité en dehors des limites de l’Eglise visible, éléments qui « appartiennent en propre à l’Eglise » et « appellent l’unité catholique ».
De là vient aussi l’expression devenue courante de « communion imparfaite » qui hérisse certains. Si j'ai reçu le même baptême qu'un protestant, je suis en communion avec lui dans la mort et la résurrection du Christ. Ce n'est pas rien. Ensuite, qu'on se serve de ce constat pour inventer un œcuménisme délirant, c'est autre chose (et ce n'est pas la faute du concile).
(1) Il ne faut certes pas traduire « subsistit » par « subsiste ». Car en français le mot peut avoir le sens de ce qui reste finalement après érosion, après vieillissement. Et il ne s’agit pas du tout de cela, n’en déplaise à ceux qui cherchent tous les arguments, même les plus mauvais, contre Vatican II. Or le mot latin, au contraire, loin d’évoquer un résidu fragile, évoque ce qui se tient sur un ferme fondement. « Se trouve » est donc très insuffisant. Cete Eglise, « c’est dans l’Eglise catholique qu’elle se tient fermement ».
(A suivre)
Commentaires
A suivre...avec joie!
Joli "teasing", si vous voulez bien me passer cette expression. Le texte est de votre plume, ou connaitrons l'auteur avec la suite, ou la fin s'il y a suites?
Je précise que je commence par la notule 4, la première par ordre d'apparition à l'écran. Je cherche de ce pas les précédentes, j'y trouverai peut-être la réponse.
Votre texte prétend qu'il y a rupture de doctrine entre Vatican I et Vatican II ?
Les deux textes ne s'excluent pas, l'un est le développement de l'autre, c'est de foi. Il ne peut y avoir contradiction.