En 1880, un enfant de l'Oratoire de Turin, après un mois de vie commune, écrivit à sa mère qu'il ne pourrait jamais s'y faire. Conclusion : — Venez me chercher.
La maman arrive, et l'on dispose tout pour le départ.
Le matin du jour fixé, l'enfant veut se confesser, une dernière fois, à Don Bosco ; mais les pénitents étaient nombreux, et le tour de notre petit homme n'arriva qu'à la fin de la messe. C'est l'heure du déjeuner, à l'Oratoire. Dalmazzo, – c'était le nom de l’enfant – allait commencer sa confession, quand un de ses camarades, attaché au service des subsistances, s'approche de D. Bosco, et lui souffle à l'oreille :
— Il n'y a pas de pain pour le déjeuner.
— Impossible ; cherchez bien, demandez à un tel, que cela regarde : il doit être par ici.
Un instant se passe. Le messager revient bredouille :
— Don Bosco, nous avons fouillé dans tous les coins, nous n'avons trouvé que quelque pagnotes.
On donne habituellement ce nom, dans les maisons italiennes, à des petits pains qui font juste la ration du déjeuner et du goûter.
Don Bosco paraît étonné :
— Alors, courez dire au boulanger qu'il apporte ce qu'il faut.
— Le boulanger ! C’est inutile. On lui doit douze mille francs ; il refuse de donner un seul morceau de pain, avant d'être payé.
— Bien, bien. Dans ce cas, mettez dans la corbeille ce que vous avez pu réunir : le reste, le bon Dieu l'enverra. Je viens à l'instant faire, moi-même, la distribution.
Le petit Dalmazzo, qui n'avait pas perdu un mot de ce dialogue, fut surtout frappé des derniers mots de Don Bosco ; et, quand il le vit se lever, il le suivit avec une curiosité bien naturelle, et d'autant plus vive que, les jours précédents, on avait beaucoup parlé de faits merveilleux, survenus à l'Oratoire, et auxquels Don Bosco n'aurait pas été étranger.
Dalmazzo se plaça donc derrière Don Bosco, et compta, avec soin, les pagnotes contenues dans la corbeille. Il y en avait quinze. Or, trois cents gaillards attendaient leur déjeuner, et, parmi eux, pas de bouches inutiles, on peut le croire.
Quinze pour trois cents ! Trois cents pour quinze ! se disait l'enfant, et la lumière ne se faisait pas dans sa tête.
Le défilé commence. Chacun passe à son rang, et reçoit sa pagnote. Dalmazzo, tout saisi, regardait, avec des yeux effarés, Don Bosco qui, souriant, ne renvoyait personne les mains vides.
Le dernier servi, Dalmazzo compte ce qui restait au fond de la corbeille : quinze pagnotes, juste !
Ses notions d'arithmétique étaient absolument bouleversées : une division qui devient une multiplication !
Quoi qu'il en soit, il annonça à sa mère qu'il restait décidément à l'Oratoire.
Le petit Dalmazzo est devenu Don Dalmazzo, supérieur de la maison de St-Jean l'Évangéliste, à Turin.
*
Le premier janvier 1886, à l'Oratoire de Turin, les étudiants de la quatrième et cinquième classe, au nombre de quatre-vingts environ, vinrent présenter leurs hommages et exprimer leurs vœux de bonne année à leur Père Don Bosco.
Celui-ci, déjà souffrant, les reçut avec une tendresse d'autant plus grande que, par leur bonne conduite, ils étaient l'honneur et la joie de la maison.
— Mes enfants, je voudrais bien pouvoir vous donner quelque chose !
Et le bon Père cherchait autour de lui, lorsqu'il avisa, sur sa table, un petit sac de papier qui contenait des noisettes.
Il se mit immédiatement à y puiser à pleine main, et il en donna une grande poignée à l'étudiant placé le plus près de lui.
Les autres se mirent à sourire : il était évident que, s'il procédait avec une pareille largesse, il ne pouvait y avoir de noisettes que pour trois ou quatre d'entre eux.
Mais, à leur grande surprise, la distribution continua, et tous en reçurent autant que pouvaient en contenir leurs-deux mains réunies.
Lorsque tout le monde fut pourvu, on fit observer à Don Bosco que trois ou quatre des élèves étaient absents, et qu'ils regretteraient bien de ne pas avoir leur part. Immédiatement il plongea de nouveau sa main dans le sac, et en tira plusieurs petites poignées de noisettes.
Un de ceux qui avait assisté à cette étrange scène, racontait ensuite :
— Je ne sais où il a pu aller les pêcher, le sac était absolument vide !
Ce fait n'est pas unique. Don Bosco a avoué que pareille chose lui était déjà arrivée.
— Un jour, dit-il, on avait fait cuire quelques marrons dans une assez petite marmite. Il arriva que les enfants qui en demandèrent étaient bien nombreux, une centaine peut-être ! et tous en ont eu une portion suffisante.
Puis, après un instant, son visage étant devenu plus sérieux, il ajouta :
— Une autre fois, il n'y avait que trois hosties dans le ciboire. Cependant j'ai pu donner la communion à toutes les personnes qui se présentèrent à la sainte table... et il y en eut beaucoup !
(Vie de Don Bosco par le Dr Charles d'Espinay).