Quand il parut, une secte odieuse voulait enlever au Père qui est aux cieux sa miséricorde et sa douceur ; elle triomphait, dans la conduite pratique des âmes, auprès de ceux-là même que rebutaient ses calvinistes théories. Sous couleur de réaction contre une école imaginaire de relâchement, dénonçant à grand bruit les propositions effectivement condamnables de quelques personnages isolés, les nouveaux pharisiens s’étaient posés en zélateurs de la Loi. Outrant le précepte, exagérant la sanction, ils chargeaient les consciences des mêmes intolérables fardeaux dont l’Homme-Dieu reprochait à leurs devanciers d’écraser les épaules humaines ; mais le cri d’alarme jeté par eux, au nom de la morale en péril, n’en avait pas moins trompé les simples et fini par égarer les meilleurs. Grâce à l’ostentation d’austérité de ses adhérents, le jansénisme, habile du reste à prudemment voiler ses dogmes, n’était que trop parvenu, selon son programme, à s’imposer à l’Église malgré l’Église ; d’inconscients alliés lui livraient dans la cité sainte les sources du salut. Bientôt, en trop de lieux, les Clefs sacrées n’eurent plus d’usage que pour ouvrir l’enfer ; la table sainte, dressée pour entretenir et développer en tous la vie, ne fut plus accessible qu’aux parfaits : et ceux-ci n’étaient jugés tels que dans la mesure où, par un renversement étrange des paroles de l’Apôtre, ils soumettaient l’esprit d’adoption des enfants à l’esprit de servitude et de crainte ; quant aux fidèles qui ne s’élevaient pas à la hauteur du nouvel ascétisme, ne trouvant au tribunal de la pénitence, en place de pères et de médecins, que des exacteurs et des bourreaux, ils n’avaient plus devant eux que l’abandon du désespoir ou de l’indifférence. Partout cependant légistes et parlements prêtaient main forte aux réformateurs, sans se soucier du flot d’incrédulité haineuse qui montait autour d’eux, sans voir la tempête amoncelant ses nuages. (…)
Qui donc cependant, dans l’impasse ténébreuse où les docteurs en vogue avaient amené les plus fermes esprits, retrouverait la clef de la science ! Mais la Sagesse gardait en ses trésors, dit l’Esprit-Saint, les formules des mœurs. De même qu’en d’autres temps à chaque dogme attaqué elle avait suscité des vengeurs nouveaux : en face d’une hérésie qui, malgré les prétentions spéculatives de ses débuts, n’eut véritablement que là de portée durable, elle produisit Alphonse de Liguori comme le redresseur de la loi faussée et le Docteur par excellence de la morale chrétienne. Également éloigné d’un rigorisme fatal et d’une pernicieuse indulgence, il sut rendre aux justices du Seigneur, pour parler comme le Psaume, leur droiture en même temps que leur don de réjouir les cœurs, à ses commandements leur lumineuse clarté qui les fait se justifier par eux-mêmes à ses oracles la pureté qui attire les âmes et conduit fidèlement les petits et les simples des commencements de la Sagesse à ses sommets.
Ce ne fut point en effet seulement sur le terrain de la casuistique que saint Alphonse parvint, dans sa Théologie morale, à conjurer le virus qui menaçait d’infecter toute vie chrétienne. Tandis que, par ailleurs, sa plume vaillante ne laissait sans réponse aucune des attaques du temps contre la vérité révélée, ses œuvres ascétiques et mystiques ramenaient la piété aux sources traditionnelles de la fréquentation des Sacrements, de l’amour du Seigneur et de sa divine Mère.
Dom Guéranger