(AFP) Des morceaux de briques millénaires gravés de caractères cunéiformes sont mélangés aux gravats et aux sacs de sable de l'armée américaine, sur le site antique de Babylone.
Pour installer en 2003/2004 les réservoirs de carburant de l'héliport du camp Alpha, les soldats américains ont érigé des talus, creusé des tranchées, répandu du gravier dans ce qui est l'un des hauts lieux de l'histoire de l'Humanité.
Aujourd'hui, les archéologues estiment qu'un an de travaux de terrassement et dix-huit mois de présence militaire, avec blindés et hélicoptères, ont causé d'irréparables dégâts.
Les mains sur les hanches, l'air consterné, Maithem Hamza, directeur du musée (entièrement vide) installé sur place, montre le sol: "Regardez cette terre, elle regorge de vestiges. Ils remplissaient leurs sacs avec".
Il pousse du pied un fragment de brique crue, couvert d'inscriptions cunéiformes bien visibles. A côté, sur le sol souillé d'hydrocarbures, la porte cassée d'un Hummer, véhicule léger de l'armée américaine.
C'est sans doute le palais édifié, lui aussi sur le site et sur une colline artificielle, par l'ancien président Saddam Hussein en 1993, qui a attiré à Babylone l'armée américaine lors de sa chevauchée victorieuse d'avril 2003. Elle l'avait, comme ailleurs en Irak, transformé en QG.
Sur un mur, près de la porte d'entrée monumentale, un pochoir à la bombe noire: "Bâtiment N°1". Plus loin, sur le mur d'un entrepôt, un graffiti: "Miss you, Smoothy !"
D'avril 2003 à juin 2004, de vastes esplanades gravillonnées ont été aplanies autour des ruines des palais de Nabuchodonosor, pour y poser les préfabriqués qui ont abrité jusqu'à 2.000 hommes.
L'héliport n'est qu'à 300 mètres des vestiges du palais nord. Selon M. Hamza, ce sont les vibrations des appareils qui ont fait s'écrouler le plafond du temple de Ninmah, reconstruit dans les années 1980.
Dans un rapport de 2005, des experts du British Museum ont assuré que les dégâts constatés sur neuf des figures de dragon moulées sur la porte d'Ishtar, de même que sur des pavés de la voie processionnelle, étaient dûs aux vibrations causées par les passages d'engins.
"Ce qui est brisé est brisé. On tentera de réparer ce qu'on pourra", regrette, dans son bureau près de l'entrée du site fermé au public depuis 2003, la directrice des lieux, Maryam Omrane Moussa.
"Beaucoup de vestiges sont enterrés très peu profond. Les vibrations des chars et des camions ont provoqué des dommages irréversibles, c'est sûr. Dès le début, nous avions dit aux Américains que c'était une erreur. J'ai écrit des lettres. Ils ont fini par comprendre et sont partis, mais cela a pris du temps".
Conservateur au British Museum, John Curtis a été l'un des premiers à sonner l'alarme. "Ce n'est que quand des photos, en particulier aériennes montrant l'étendue du camp, ont commencé à apparaître sur internet que les autorités de la coalition sont devenues nerveuses et ont compris qu'il fallait partir".
"Je ne pense pas qu'il y ait eu intention de nuire: c'est avant tout de l'ignorance et de la stupidité", dit-il à l'AFP.
Face aux protestations, les travaux de terrassement et de construction ont été interrompus en juin 2004, six mois avant le départ des troupes.
Et, selon l'armée américaine, si sa présence certes a pu causer des dommages, elle a aussi protégé le site des pillards, très actifs aux premières semaines de l'occupation.
Interrogé en 2006 par la BBC le colonel des Marines John Coleman, ex-chef d'état-major du 1er corps expéditionnaire en Irak, avait accepté le principe de présenter des excuses aux chefs des Antiquités irakiennes.
"Si cela cela peut soulager, je peux certainement le faire", avait-il dit. "Notre présence a-t-elle eu un prix ? Sûr. Mais je dis que le prix aurait été beaucoup plus élevé si nous n'avions pas été là".