« O vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s'il est douleur pareille à ma douleur ! » (Lamentations de Jérémie). Est-ce donc le premier cri de la douce enfant dont la venue a causé joie si pure à la terre ; et fallait-il arborer si tôt le drapeau de la souffrance sur le berceau où repose tant d'innocence et d'amour ? Le cœur de l'Eglise pourtant ne l'a pas trompée; cette fête, à cette date, est toujours la réponse à la question de l'humanité dans l'attente : Que sera cette enfant ?
Raison d'être de Marie, le Sauveur à venir doit en être en tout l'exemplaire. C'est à titre de Mère que fut annoncée, qu'est apparue la Vierge bénie, et dès lors à titre de Mère de douleurs, parce que le Dieu dont la naissance prochaine est le motif de sa propre naissance sera en ce monde l’homme des douleurs et de l'infirmité (Isaïe 53). A qui vous comparer ? chante le prophète des lamentations: ô Vierge, votre affliction est comme l'océan. Sur la montagne du Sacrifice, comme mère elle donna son fils, comme épouse elle s'offrit avec lui ; par ses souffrances d'épouse et de mère, elle fut la corédemptrice du genre humain. Une première fête des Douleurs de Marie, préludant aux récits de la grande Semaine, a gravé dans nos âmes cet enseignement et ces souvenirs.
Le Christ ne meurt plus ; pour Notre Dame, de même, a cessé la souffrance. Néanmoins la passion du Christ se poursuit dans ses élus, dans son Eglise contre laquelle, à son défaut, se rue l'enfer. A cette passion du corps mystique dont elle est aussi mère, la compassion mystérieuse de Marie reste acquise; que de fois ne l'ont pas attesté les larmes coulant des yeux de ses images les plus vénérées ! Là encore, là surtout, est aujourd'hui l'explication de cette reprise inaccoutumée par la Liturgie sainte d'une fête célébrée déjà dans une autre saison sous un titre identique.
(Dom Guéranger, L’Année liturgique)