La veille du jour où le Premier ministre François Fillon devait prononcer devant l’Assemblée nationale son discours de politique générale, acte majeur du chef du gouvernement, Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, accordait une interview au quotidien La Tribune , dans laquelle il révélait l’essentiel de ce qu’allait dire François Fillon le lendemain.
Ce matin, François Fillon devait faire sa rentrée politique sur France Inter. Hier soir, Claude Guéant était l’invité de l’émission politique phare du dimanche, le Grand Jury RTL LCI Le Figaro.
L’autre jour, Nicolas Sarkozy a redit que c’est lui qui décide, et que le Premier ministre est « un collaborateur » du président de la République. Hier soir, Claude Guéant s’est posé en « principal collaborateur » du chef de l’Etat... Et à ce titre il s’est exprimé sur tous les sujets du moment, comme seul pourrait le faire un Premier ministre...
Marchant en permanence sur les plates-bandes du gouvernement, il s’est même permis de contredire le ministre de l’Economie Christine Lagarde en disant qu’il n’y aurait pas de plan de rigueur pour la fonction publique mais un plan de valorisation, sur lequel Nicolas Sarkozy s’exprimera le 12 septembre... Et il a dit « non » à l’ouverture du capital d’Areva, que réclame son PDG Anne Lauvergeon...
Bien entendu, Claude Guéant, qui était également apparu comme l’homme clef dans l’affaire des infirmières bulgares, a l’aval de Nicolas Sarkozy pour s’exprimer ainsi. Ce n’est pas seulement ce qui apparaît. Il le dit explicitement : « Le président autorise et même encourage ses collaborateurs les plus proches à s’exprimer », pour participer à une « information de l’opinion », un « compte-rendu permanent ». Sic. Et au premier chef le secrétaire général de la présidence, qui a un « rôle politique » dans la « conduite de l’Etat »...
Jamais jusqu’ici un secrétaire général de l’Elysée ne s’était exprimé de la sorte. Comme son titre l’indique, son rôle est de coordonner les conseillers du président de la République, donc d’être le premier conseiller. Pas de gouverner. Et l’on se souvient qu’un homme aussi flamboyant que Dominique de Villepin était toujours resté dans l’ombre de Jacques Chirac lorsqu’il occupait ce poste.
La surexposition médiatique de Claude Guéant est la confirmation spectaculaire que tout se fait à l’Elysée. Que le véritable gouvernement est à l’Elysée, tandis que les ministres ne sont que des collaborateurs de ce gouvernement. Les rôles sont inversés.
C’est la démocratie qui en prend un coup... Rappelons seulement que la Constitution stipule que le Premier ministre « dirige l’action du gouvernement », lequel « détermine et conduit la politique de la nation », et ne fait pas mention du secrétaire général de l’Elysée, encore moins de ses éventuelles prérogatives.
Ce matin, François Fillon était pathétique. Sans le vouloir, il a lui-même souligné l’inversion des rôles, justifiant (du bout des lèvres) la médiatisation de Claude Guéant en disant que si l’on veut la transparence il ne doit pas y avoir de « personnage de l’ombre », et affirmant d’autre part que « Matignon travaille dans l’ombre » mais que ce qui compte ce sont les résultats...
François Fillon peut toujours tenter de récuser le mot de collaborateur et souligner qu’il a la légitimité du suffrage universel, c’est bien lui qui a encore dit, début juillet, que dans la logique des institutions qu’il souhaite, la fonction de Premier ministre a vocation à disparaître. Eh bien c’est fait.