Un ami m’écrit ceci, que je porte volontiers à la connaissance de mes lecteurs.
Un cinquantième anniversaire risque de passer inaperçu, et c'est sûrement dommage : celui de l'encyclique Fidei donum, du pape Pie XII (21 avril 1957).
On retient habituellement de ce texte l'élan missionnaire qu'il a suscité dans l'Eglise. Mais, pour des raisons de political correctness, on occulte plusieurs des motifs qui ont poussé le Souverain Pontife à écrire cette encyclique, et qui, cinquante ans plus tard, constituent un témoignage étonnant de la lucidité du regard que Pie XII et le Saint-Siège portaient sur le monde qui les entourait. Jugez-en par les extraits ci-dessous.
« Il nous a semblé opportun d’orienter aujourd’hui vos regards vers l’Afrique, à l’heure où celle-ci s’ouvre à la vie du monde moderne et traverse les années les plus graves peut-être de son destin millénaire.
« Là, comme partout, l’Église peut être fière de l’œuvre de ses missionnaires. »
« Au moment où l’instauration de la hiérarchie pourrait à tort laisser croire que l’action missionnaire est sur le point de s’achever, plus que jamais la sollicitude de toutes les Églises (cf. 2 Co 11, 28) du vaste continent africain angoisse notre âme.
« La plupart des territoires traversent une phase d’évolution sociale, économique et politique, qui est de grande conséquence pour leur avenir et il faut bien reconnaître que les nombreuses incidences de la vie internationale sur les situations locales ne permettent pas toujours aux gouvernants les plus sages de ménager les étapes qui seraient nécessaires au vrai bien des populations.
« L’Église […] ne peut qu’être particulièrement attentive aujourd’hui à l’accession de nouveaux peuples aux responsabilités de la liberté politique. Plusieurs fois déjà, Nous avons invité les nations intéressées à procéder dans cette voie selon un esprit de paix et de compréhension réciproque. « Qu’une liberté politique juste et progressive ne soit pas refusée à ces peuples [qui y aspirent] et qu’on n’y mette pas obstacle », disions-nous aux uns ; et nous avertissions les autres de « reconnaître à l’Europe le mérite de leur avancement ; sans son influence, étendue à tous les domaines, ils pourraient être entraînés par un nationalisme aveugle à se jeter dans le chaos ou dans l’esclavage » (Radiomessage de Noël, 1955).
« Nous savons, malheureusement, que le matérialisme athée a répandu en bien des contrées d’Afrique son virus de division, attisant les passions, dressant les uns contre les autres, peuples et races, prenant appui sur des difficultés réelles pour séduire les esprits par de faciles mirages ou semer la révolte dans les cœurs.
« Tandis que les ennemis du nom de Dieu déploient sur ce continent leurs efforts insidieux ou violents, il faut encore déplorer ces graves obstacles qui contrarient en certaines régions les progrès de l’évangélisation. Vous savez notamment l’attrait facile qu’exerce sur l’esprit d’un grand nombre une conception religieuse de la vie qui, tout en se réclamant hautement de la divinité, engage néanmoins ses adeptes dans une voie qui n’est pas celle de Jésus Christ, unique Sauveur de tous les peuples. Notre cœur de père demeure ouvert à tous les hommes de bonne volonté, mais, Vicaire de celui qui est la Voie , la Vérité et la Vie , Nous ne pouvons pas considérer sans vive douleur un tel état de choses. Les causes d’ailleurs en sont multiples ; elles tiennent souvent à l’histoire récente, et l’attitude de nations qui s’honorent pourtant de leur passé chrétien n’y fut pas toujours étrangère. Il y a là, pour l’avenir catholique de l’Afrique, un motif de sérieuses préoccupations.
« Les Africains, qui parcourent en quelques décades les étapes d’une évolution que l’Occident a mis plusieurs siècles à accomplir, sont plus facilement ébranlés et séduits par l’enseignement scientifique et technique qui leur est dispensé, comme aussi par les influences matérialistes qu’ils subissent. Des situations difficilement réparables peuvent de ce fait se créer ici ou là et nuire par la suite à la pénétration du catholicisme dans les âmes et dans les sociétés.
« Vingt prêtres de plus dans telle région permettraient aujourd’hui d’y planter la croix alors que demain cette terre, travaillée par d’autres ouvriers que ceux du Seigneur, sera peut-être devenue imperméable à la vraie foi. Et d’ailleurs, il ne suffit pas d’annoncer l’Évangile : dans la conjoncture sociale et politique que traverse l’Afrique, il faut très tôt former une élite chrétienne au sein d’un peuple encore néophyte, mais dans quelle proportion ne faudrait-il pas alors multiplier le nombre des missionnaires pour leur permettre d’accomplir ce travail d’éducation personnelle des consciences ?
« Certes, le clergé africain augmente, mais ce n’est pas avant bien des années qu’il pourra, dans ses propres diocèses, tenir pleinement sa place, toujours aidé d’ailleurs par ceux qui furent ses maîtres dans la foi.
« [Veillez] à l’assistance spirituelle des jeunes Africains et Asiatiques que la poursuite de leurs études amènerait à séjourner temporairement dans vos diocèses. Privés des cadres sociaux naturels de leurs pays d’origine, ils restent souvent, et pour divers motifs, sans contacts suffisants avec les milieux catholiques des nations qui les accueillent. Leur vie chrétienne, de ce fait, peut se trouver en péril, car les vraies valeurs de la civilisation nouvelle qu’ils découvrent leur demeurent encore cachées, alors que déjà, des influences matérialistes s’exercent fortement sur eux et que des associations athées s’efforcent de gagner leur confiance. »