L’archiprêtre Serguei Tchertiline est l’un des trois journalistes (et les seul prêtre) de l’Union des journalistes orthodoxes ukrainiens arrêtés il y a trois mois et depuis lors en préventive. Il témoigne de sa captivité :
Pour un chrétien orthodoxe, vivre une vie ecclésiale est la norme : un coin prière, des prières régulières, l'assistance aux offices, les jeûnes, la préparation à la confession et à la communion. Mais imaginez que tout cela s'effondre du jour au lendemain et que vous vous retrouviez dans un endroit où les seuls meubles sont une couchette et une table de chevet, dans le meilleur des cas.
Vous devez faire un choix : les icônes ou le nécessaire ? Où il faut apprendre à prier non pas dans le silence de sa chambre, mais entouré de 20-25 personnes qui vivent leur vie : qui dort, qui se réveille, qui mange, qui se dispute, qui fait du sport, qui regarde la télévision. C'est ainsi 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
Dans un centre de détention provisoire, il n'est pas possible d'assister à des services religieux, même s'il y a une chapelle. Les règles l'interdisent à ceux qui ne sont pas condamnés. Inviter un prêtre pour se confesser et recevoir la communion est également une tâche difficile.
J’ai vu des prêtres deux fois, et il se peut qu'il s'agisse de grecs-catholiques. Il est difficile d'évaluer leur travail et leur influence sur la vie spirituelle des prisonniers. Mais il faut en convenir, venir dans la cellule pour asperger d'eau et s'enfuir sans aucun désir d'établir un contact avec une personne ayant besoin de soins spirituels, c'est quand même nécessaire... Mais non, c’est non.
Le jeûne et la lecture de littérature spirituelle présentent également des difficultés propres, qu'il est difficile de mesurer sans avoir vécu une telle situation. La lecture peut être le seul divertissement disponible.
Certains diraient qu'un prêtre doit éclairer, enseigner et instruire dans la voie de la correction, comme l'a dit l'un des "locaux" : « apporter une lumière spirituelle ». Mais il s'agit là d'une vision idéalisée. La vie ici est soumise à d'autres règles, rythmes et intérêts. Et, malheureusement, c'est un endroit où les gens perdent leur individualité. Ici, on n'est pas directeur d'usine, ni prêtre, ni juge, ni député, mais simplement prisonnier.
Avec le temps, on parvient à rendre petit à petit à sa vie ce qui était cher en liberté.
D'abord, on réapprend à prier, pas devant des icônes, mais assis sur la couchette, ou dans le panier à salade, ou dans le box, et en répondant parallèlement aux questions de ses compagnons de cellule : « Pour qui, mon père, pries-tu ? »
Puis la première icône vous parvient dans un paquet, que les détenus accrochent à l'endroit le plus visible pour que tout le monde puisse prier. Ensuite, vous consacrez votre « maison » et tout le monde prie avec vous.
Ensuite, vous débarrassez le dessus de la table de chevet et vous installez un coin de prière. Au fil du temps, d'autres personnes se joignent à votre prière, qui devient la norme, et déjà vos voisins vous rappellent à 21h30 le moment de prier pour les prisonniers.
Alors la nécessité du jeûne et la conscience de l'importance de la préparation à la confession et à la communion reviennent à la surface. J’ai la chance que mes avocats le P. Nikita et le P. Aristarque soient membres du clergé : le lieu de rencontre avec l'avocat se transforme en une mini-église, où la communication ne porte pas seulement sur des questions juridiques, mais est aussi un lieu de confession et de communion.
Avec le recul, on se rend compte qu'il y a une vie spirituelle même dans de telles conditions. Oui, c'est différent, mais c'est indéniable.
Je suis heureux de faire partie d'une Église qui garde ses traditions sacrées et qui ne cherche pas à plaire au monde, mais à plaire à Dieu !
Le P. Tchertiline avait déjà raconté comment les accusés sont traités quand ils doivent assister à une audience :
La convocation d'un suspect au tribunal peut arriver par surprise, sans qu'il ait assez de temps pour se préparer à la séance ou pour préparer de la nourriture. Ensuite, un grand nombre de personnes sont placées dans ce que l'on appelle des "box" - de petites cellules de 2x2,5m. Vient ensuite le convoi qui, après une fouille, place les prisonniers dans une petite cage dans un panier à salade et les emmène dans différents tribunaux.
Au tribunal de Solomensky, vous êtes dans un endroit spécial où l'on se sent comme un chien en cage, dans un demi-mètre carré, où l'on peut seulement s'asseoir et se lever de toute sa hauteur, et c’est tout.
L’attente de l’audience est une autre épreuve qui peut durer des heures, car ils peuvent vous amener au tribunal à 10 heures, et la séance commence à 16 heures.
Et lorsque vous êtes amené déjà fatigué dans la salle d'audience, et que vous comprenez la nature honteuse du système judiciaire, où le juge n'écoute que la position de l'accusation, et où tous les arguments de la défense sont simplement ignorés, il devient clair que quoi que vous disiez, aux yeux du juge vous êtes coupable, parce qu'il y a un opportunisme politique et des ordres venant des hautes sphères.
Le 6 juin, le procès a duré jusqu'à 22h00. Imaginez tout ce temps passé sur les bancs et dans l'aquarium. Et après l’audience, vous êtes renvoyé à la prison, placé dans le box habituel, où vous attendez que quelqu'un vous conduise à votre cellule…