Extrait d’une très longue et très intéressante interview de Jacques Baud.
Parce que l’économie de la Russie était considérée comme comparable à celle de l’Italie, on a supposé qu’elle serait tout aussi vulnérable. Ainsi, l’Occident – et les Ukrainiens – pensaient que les sanctions économiques et l’isolement politique de la Russie provoqueraient rapidement son effondrement, sans passer par une défaite militaire. C’est en effet ce que l’on comprend de l’interview d’Oleksei Arestovich, le conseiller et porte-parole de Zelensky, en mars 2019. Cela explique aussi pourquoi Zelensky n’a pas tiré la sonnette d’alarme début 2022, comme il le dit dans son interview au Washington Post. Je pense qu’il savait que la Russie répondrait à l’offensive que l’Ukraine préparait dans le Donbass (c’est pourquoi le gros de ses troupes se trouvait dans cette zone) et pensait que les sanctions conduiraient rapidement à l’effondrement et à la défaite de la Russie. C’est quoi Bruno Le Maire, le ministre français de l’Economie, avait « prédit ». De toute évidence, les Occidentaux ont pris des décisions sans connaître leur adversaire.
Comme l’a dit Arestovich, l’idée était que la défaite de la Russie serait le ticket d’entrée de l’Ukraine à l’OTAN. Ainsi, les Ukrainiens ont été poussés à préparer une offensive dans le Donbass afin de faire réagir la Russie, et ainsi obtenir une défaite facile par des sanctions dévastatrices. C’est cynique et cela montre à quel point l’Occident, mené par les Américains, a abusé de l’Ukraine pour ses propres objectifs.
Le résultat est que les Ukrainiens ne cherchaient pas la victoire de l’Ukraine, mais la défaite de la Russie. Ceci est très différent et explique le récit occidental des premiers jours de l’offensive russe, qui prophétisait cette défaite.
Mais la réalité est que les sanctions n’ont pas fonctionné comme prévu, et l’Ukraine s’est retrouvée entraînée dans des combats qu’elle avait provoqués, mais pour lesquels elle n’était pas prête à se battre aussi longtemps.
C’est pourquoi, dès le départ, le récit occidental a présenté un décalage entre les médias rapportés et la réalité sur le terrain. Cela a eu un effet pervers : cela a encouragé l’Ukraine à répéter ses erreurs et l’a empêchée d’améliorer sa conduite des opérations. Sous prétexte de combattre Vladimir Poutine, nous avons poussé l’Ukraine à sacrifier inutilement des milliers de vies humaines.
Dès le début, il était évident que les Ukrainiens répétaient constamment leurs erreurs (et même les mêmes erreurs qu’en 2014-2015) et que des soldats mouraient sur le champ de bataille. De son côté, Volodymyr Zelensky réclamait de plus en plus de sanctions, y compris les plus absurdes, parce qu’il était amené à croire qu’elles étaient décisives.
Je ne suis pas le seul à avoir remarqué ces erreurs, et les pays occidentaux auraient certainement pu arrêter ce désastre. Mais leurs dirigeants, enthousiasmés par les informations (fantaisistes) sur les pertes russes et pensant ouvrir la voie à un changement de régime, ont ajouté sanctions sur sanctions, refusant toute possibilité de négociation.
Comme l’a dit le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire, l’objectif était de provoquer l’effondrement de l’économie russe et de faire souffrir le peuple russe.
C’est une forme de terrorisme d’Etat : il s’agit de faire souffrir la population pour la pousser à se révolter contre ses dirigeants (ici, Poutine). Je ne l’invente pas. Ce mécanisme est détaillé par Richard Nephew, chef des sanctions au département d’État sous Obama et actuellement coordinateur sur la lutte contre la corruption mondiale, dans son livre intitulé The Art of Sanctions.
Ironiquement, c’est exactement la même logique que l’État islamique a invoquée pour expliquer ses attentats en France en 2015-2016. La France n’encourage probablement pas le terrorisme, mais elle le pratique.