Hier j’ai été le bénéficiaire d’une de ces « coïncidences » qui sont de merveilleux clins d’œil du Ciel.
Le matin, je lisais dans la 106e homélie de saint Augustin sur l’évangile de saint Jean, parue il y a 1600 ans :
(…) comme le Père éternel est tout-puissant, le Fils qui lui est coéternel est tout-puissant et, s’il est tout-puissant, il tient assurément toutes choses. Si omnipotens, utique omnitenens. C’est ainsi que nous préférons traduire mot à mot pour dire exactement ce que les grecs disent pantocrator. Les nôtres ne traduiraient pas par tout-puissant, alors que pantocrator veut dire tenant tout, s’ils ne pensaient pas que le terme est équivalent. Qu’a donc jamais pu avoir l’Eternel qui tient tout que n’ait pas eu en même temps son coéternel qui tient tout ? (Quid ergo umquam habere potuit aeternus omnitenens quod non simul habuerit coaeternus omnitenens ?)
L’après-midi je lisais, dans Penser c’est rendre grâce, de Pierre Magnard, qui vient tout juste de paraître :
A force de parcourir le moyen âge, (…) je ne pouvais pas ne pas être attentif aux tympans romans de Moissac ou de Vézelay qui finirent par m’imposer l’image du pantocrator : le Christ dans sa mandorle, oint de la volonté du Père, transposait la souveraineté en règne d’amour. Celui qui est consubstantiel au Père se présente comme le pantocrator plutôt que comme le tout-puissant. Et c’est ce changement de qualificatif imposé tout simplement par la sculpture romane qui me donna bientôt à réfléchir : le pantocrator et non pas le tout-puissant. Qu’est-ce que le pantocrator ? Celui qui embrasse l’univers, cratein, crasis, embrassement, panton, de toutes choses, et qui, de ce fait, traduit toute la bonté du Père dont la souveraineté ne s’exprime jamais mieux que dans cette conservation et ce maintien de ce qu’il crée. Père, l’est-il davantage que dans cet embrassement ? C’était là le considérer dans son amour plutôt que dans sa puissance.
La phrase qui précède ce passage dit ceci :
Et c’est pourquoi encore un instant je voudrais réfléchir à ce que peut nous apporter cette conversion de l’ontologie à l’hénologie, me demandant quelle en est au juste la portée.
C’est-à-dire de la philosophie de l’Etre à la philosophie de l’Un (en référence notamment à Plotin). Cette double réflexion de saint Augustin et de Pierre Magnard ne m’a pas fait penser aux tympans romans, mais au Christ pantocrator des mosaïques et peintures byzantines dans les absides. A priori le Christ bénit de la main droite et tient l’évangile de la main gauche. Toutefois le mouvement général qui apparaît est celui d’un homme dont la tête est au centre d’un orbe et qui étend les mains pour rassembler et faire venir à lui, de la circonférence à son visage glorieux. C’est net si l’on regarde par exemple le sublime Pantocrator de Monreale d’en bas (de là où nous sommes…) :
Le pantocrator est en effet l’omnitenens, celui qui tient tout le cosmos, et qui ramène tout à l’un, pour que tous soient un comme le Père et lui sont un.
Addendum. Le Pantocrator de la cathédrale de Lungro:
Commentaires
merci pour ce post décisif !
Superbe choix de l'illustration.
Ça en revanche c est un post inspirant
Omnia in Ipso constant........Instaurare omnia in Christo....Créateur, donc Tout-Puissant, Conservateur, donc Providence, Alpha et Omega. Mais le Rédempteur n'embrasse que ceux qui sont à Lui, ceux qui ont adhéré à son Évangile, ceux qui sont devenus, d'enfants de colère, fils adoptifs, participants à la nature divine.
Et aussi Omnia enim vestra sunt vos autem Christi Christus autem Dei (1Cor 3, 22-23)
Merci...
Les catholiques privés de leur Tradition ont besoin de vous.
S'il vous plaît, continuez...
Oui très bien cet article. Merci.
Le Père et le Fils sont un sur les Pantocrator, et singulièrement sur le Linceul qui a inspiré en particulier celui de Cefalù. La reconstitution du visage du Christ avec des logiciels, à partir du saint Linceul, affine et rajeunit son visage. La légère dissymétrie constatable au niveau des sourcils s'explique par une tuméfaction de la pommette droite liée aux affreux traitements que lui ont infligés les Romains.
Quoi qu'il en soit, cette unité du Père et du Fils m'a toujours vivement frappée sur le Linceul, dont l'image est celle d'un homme qui paraît nettement plus âgé que ne l'était le Christ au moment de sa crucifixion.
Le Pantocrator reproduit n'est pas celui de la cathédrale de Cefalù mais celui de la cathédrale de Monreale.
En effet. Bravo et merci. Je corrige. Je suis d'autant plus inexcusable que je suis resté longtemps devant l'un et devant l'autre, et que j'avais constaté que la main droite de Cefalu est plus belle que celle de Monreale... (En fait c'est tout le Christ qui est plus beau à Cefalu.)
Mais vous laissez Monreale...
Celui de la chapelle Palatine de Palerme n'est pas mal non plus.