Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Laurent Terzieff

Laurent Terzieff est mort.

Petit témoignage. Il y a très longtemps, aux débuts de Présent, j’avais écrit tout le bien que je pensais de son spectacle Milosz. Il avait envoyé un mot de remerciements (ce qui était rarissime, car on ne se compromet pas avec un journal « intégriste d’extrême droite »), accompagné d’un chèque pour un abonnement de six mois…

Voici que qu’il disait d’Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz, qu’il a contribué à faire connaître en France :

Je ne vois pas de poète qui ait porté aussi loin le besoin fou d’amour, la souffrance, la barbarie, l’injustice, mais en même temps l’éblouissement devant la beauté de la vie. En premier lieu, je voudrais parler de la conscience du temps chez Milosz, le temps comme de l’éternité volée : « Ces mensonges du temps qu’on appelle souvenirs », écrit-il. Aucun poète n’a mieux que lui, sauf Rilke, exorcisé les démons de l’enfance. La poésie de Milosz est pleine d’analogies universelles et de correspondances. Elle renvoie à cette conception de Platon : le monde ne vaut que par ce qui lui manque et n’existe que par défaut. Pour Milosz, si quelque chose nous manque, c’est qu’il existe. S’il n’est pas là, c’est qu’il est ailleurs. Le monde visible n’est pour lui qu’une face de la réalité, et la face invisible est sans doute la plus importante.

Il faut dire aussi cette expérience du langage remarquable chez Milosz. Il est lituanien et n’a jamais écrit qu’en français. Il est un peu, comme disait Kafka, « invité dans une langue étrangère ». Or, en tant qu’invité dans cette langue, il s’est comporté de la façon la plus courtoise qui soit : il épouse la langue française, la retrouve dans sa rigueur plastique, comme si son grand souci était de s’inscrire dans la tradition mais en l’irriguant d’un sang nouveau.

Et puis il y a la religiosité très caractéristique de Milosz : elle est un besoin d’amour, Dieu pour lui est d’abord un père. Il est très « dostoïesvskien », dans les Scènes de Don Juan, notamment. Pour lui, le bien passe par l’expérimentation du mal. Dans mon spectacle, je me suis attaché à retracer son parcours spirituel : du démoniaque à l’abjection, de l’abjection à la grâce. J’ai relu son œuvre jusqu’à l’obsession, en relevant des questions angoissées qui trouvent plus tard dans des textes des réponses. Mon fil conducteur a été d’épouser sa vie telle qu’elle est dans son œuvre. Le spectacle se divisait avec la descente aux enfers, et les Scènes de Don Juan, puis la remontée avec l’Amoureuse Initiation, roman unique dans l’histoire de la littérature, picaresque et religieux à la fois, et, enfin, avec l’ascension, Miguel Manara, Ars Magna et les Arcanes.

(NB. Miguel Manara, c’est le “vrai“ Don Juan. Et la pièce de Milosz est beaucoup plus profonde que celle de Molière. Henri Thomasi en a fait un bel opéra. YD)

Les commentaires sont fermés.