Tableau de l’église Saint Maurice de Fribourg, dans le quartier de l’Auge, commenté par Martin Nicoulin dans son livre sur l’église de l’Auge et ses saints, paroisse Saint-Maurice, 2016.
Premier autel adossé au mur latéral sud, un tableau du célèbre Gottfried Locher, peint vers 1784 selon les spécialistes. Un homme vêtu de la coule des Augustins, avec une étoile sur le cœur, flotte entre terre et ciel. Sa main droite bénit une corbeille de pains portée par des anges. Sa gauche porte un lys blanc. Un archange en habit rouge distribue ce pain aux hommes. Appuyé sur son bâton, un vieillard essaye d’attraper un de ces merveilleux morceaux. Un autre séraphin lance une ceinture sacrée pour tirer des êtres des flammes du purgatoire. Au premier plan, une femme assise porte sur sa robe bleue un petit enfant nu et mort. Elle aussi attend un miracle. L’homme vêtu de la coule des Augustins, avec une étoile sur le cœur s’appelle Nicolas de Tolentino. Il est le premier saint sorti de l’ordre de Saint-Augustin. Il occupe la première place dans le cœur des moines de cette congrégation comme saint François pour les franciscains ou saint Dominique pour les dominicains.
Sa vie est belle comme un concert de Mozart. Un petit village près d’Ancône en Italie. Un couple gémit sur sa stérilité et fait un pèlerinage à Bari auprès du grand saint Nicolas. Exaucé, il donne à leur nouveau-né le prénom de Nicolas. Très jeune, la vie monastique attire le petit Nicolas. Après une vie de bohème religieuse, celui-ci en 1279 s’installe au couvent de Tolentino chez les ermites de Saint-Augustin. Là, pendant 30 ans, il mène une vie religieuse parfaite. Il pratique le jeûne et l’abstinence, il exerce l’humilité et la charité. Dans ce monastère de la petite ville, ce moine doux prêche l’évangile et illumine les fidèles. Il est guéri d’une grave maladie en mangeant du pain trempé dans l’eau sous le sourire de la Sainte Vierge. Parce qu’il a du cœur et de la générosité, il applique aux autres ce remède merveilleux. Ce moine a une tendresse particulière pour les âmes qui souffrent au purgatoire et célèbre des messes pour leur délivrance. Avec lui, le pain se change en fleurs, des perdrix rôties reprennent leur envol. Il meurt en odeur de sainteté après avoir assisté au concert des anges en 1305.
A Avignon, le pape Jean XXII ouvre son procès de canonisation en 1325. Exactement 664 personnes y viennent témoigner, 371 dépositions sont retenues et 300 miracles sont racontés. Ce procès de canonisation est réclamé par l’Ordre des Ermites de Saint-Augustin, un ordre encore très jeune qui se cherche un saint patron et une légitimité. Les Augustins se montrent plus fidèles à la papauté que leurs rivaux les franciscains. Mais Nicolas de Tolentino sera proclamé saint seulement en 1446. Pourquoi a-t-il fallu tant de temps ? L’Eglise est secouée par une véritable tempête. C’est le grand schisme d’Occident. Entre 1409 et 1417, trois papes règnent en même temps. L’Eglise retrouve son unité le 11 novembre 1417 à Constance où un Concile dépose l’antipape Jean XXIII et élit Martin V. Les Augustins de l’Auge ont connu ce pape puisqu’il a passé à Fribourg en 1418. Son successeur, Eugène IV est un moine augustin. Il achève l’unité de l’Eglise encore mise à mal par le concile de Bâle. Une poignée de dissidents y nomment le dernier des antipapes, un duc de Savoie, Félix qui se fait couronner dans la cathédrale de Lausanne où il abdiquera aussi quelques années plus tard. Au concile de Florence, il opère une union sans lendemain entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise orthodoxe de Constantinople. A Rome, il achève le procès de canonisation de Nicolas de Tolentino le 5 juin 1446 et le déclare saint et fixe la date de sa fête au 10 septembre. Ainsi, Nicolas de Tolentino est le premier saint de cet ordre. Un pape a dit que le plus beau miracle de saint Nicolas de Tolentino est d’avoir reconstitué l’unité de l’Eglise. Il apparaît comme un symbole de la renaissance spirituelle de l’Eglise après le grand schisme.
Saint Nicolas de Tolentino accomplit une pluie de miracles. Il guérit les malades et ressuscite les enfants. Les fameux pains de saint Nicolas de Tolentino font des merveilles. En 1447, un incendie menace le palais Saint-Marc mais grâce au pain de saint Nicolas, Venise est préservée. En signe de reconnaissance, la Ville construit une chapelle en son honneur. A Gênes, une tempête furieuse menace de couler tous les bateaux arrimés au port. L’archevêque de la ville jette un pain et la mer se calme aussitôt. En 1526, le feu ravage une ville du diocèse de Tolède en Espagne. On y jette un pain et la catastrophe cesse. Les filles du Roi d’Espagne enferment le pain rescapé dans un reliquaire. Ce pain miraculeux guérit le prince grand électeur de Cologne encore mise à mal par le concile de Bâle.
Chaque 10 septembre, l’Auge fête saint Nicolas de Tolentino. Accompagnés par l’orgue, les moines et les fidèles chantent les litanies en son honneur :
« Saint Nicolas de Tolentino, priez pour nous
Honneur des ermites de Saint Augustin, priez pour nous
Diamant de la perfection religieuse...
Grand ami des anges...
Faiseur de grands miracles...
Avocat particulier pour les âmes du purgatoire...».
Puis l’officiant bénit les pains. A la maison, le fidèle prend ce pain trempé dans l’eau. Mais avant, il récite trois Pater noster et Ave Maria. Il termine en récitant cette oraison à Dieu, retrouvée dans un livre de la bibliothèque du couvent :
« Nous vous prions par l’intercession et mérites de votre grand ami saint Nicolas de Tolentino que vous daigniez semblablement donner la même vertu à ce pain bénit duquel nous usons au nom de votre fidèle serviteur Nicolas afin que nous puissions obtenir votre sainte grâce et miséricorde, et être exempts en cette vie de tous maux et périls, de la peste venimeuse, maladies et autres malheurs et après cette vie des peines éternelles et du feu de l’enfer. ».
Cette tradition a duré longtemps. En 1878, c’était le père Gachet, un boulanger de la Lenda qui avait l’honneur de cuire au four ces minuscules brioches que les Augeois nommaient les "torlentins".